Giacinto Scelsi est mort à Rome en 1988. Il avait consacré l’essentiel de sa vie à la musique. Il était cependant, pour le public, presque un inconnu. Depuis douze ans, opus après opus on ne cesse de découvrir les trésors d’un vaste édifice qui touche tous les genres musicaux : pièces pour le piano, vocales, de chambre, pour orchestre. Ses œuvres suscitent une curiosité irrésistible et les auditions -des premières mondiales- se multiplient. « Lorsqu’un compositeur important doit atteindre ses 73 ans pour voir apparaître enfin son premier disque dans le commerce, il faut qu’il soit ou totalement dépourvu du sens de sa propre promotion, ou trop en avance sur son temps », écrivait en substance le musicologue Harry Halbreich pour la parution du premier vinyle. Comment ne pas penser à Schubert qui ne fut célébré qu’après sa mort ? On ne sait si cette musique vaut celle du compositeur viennois mais elle mérite en tout cas mieux que les cartons dans lesquels elle est restée tant d’années.
Exemple par l’intégrale de la musique de chambre pour orchestre à cordes présenté ici. Un orchestre de faible notoriété a la bonne idée d’enregistrer ces œuvres pour la première fois. Quatre pièces des années 60 qui explorent le son de l’intérieur, à la manière de ce que fit John Cage à New York à la même époque (et bien avant les recherches des spectraux des années 70, Grisey, Levinas, Murail). Les quatre œuvres Natura renovatur, Angamin, Ohoi, Elohim sont des méditations philosophiques d’inspiration bouddhiste. Elles sont tout à fait caractéristiques de l’ensemble des compositions de Scelsi. Leur écriture est d’un raffinement extrême. Scelsi compose ses pièces à partir de notes pivots et demande aux instrumentiste de jouer sur les articulations, les modes d’attaque, les dynamiques et les timbres. Les sons tenus vibrent dans l’espace, se dégagent, s’écartent (utilisation de micro-intervalles qu’exploiteront Ligeti ou Penderecki) et se retrouvent. L’inspiration mystique est évidente et l’auditeur gagnerait encore à une audition « live » de ces chefs-d’œuvre. Beau travail tout de même de l’orchestre royal de Wallonie.
Scelsi reste un grand mystère. Cet aristocrate refusa toute sa vie d’être photographié et créa, pour être identifié, son propre logo (40 ans avant un certain Prince Roger Nelson). Son ancien assistant, Vieri Tossati, suscita peu après sa mort la polémique « Scelsi c’est moi », naissance d’une rumeur qui peut-être ressemblera à la controverse Shakespeare-Marlowe. Mais Giacinto Scelsi a existé, nous l’avons rencontré. C’était un maître. Sa musique n’a pas fini de nous éblouir et sa modernité de nous inspirer.