Troisième album en trois ans -après Ceefax, 1997, Semaphore, 1998, si l’on excepte la compilation Sevens and twelves sortie l’automne dernier- pour le trio Fridge. Kieran Hebden, Adem Ilhan et Sam Jeffers ont adopté une régularité de sorties métronomique, et encore, on oublie de parler d’une bonne tripotée de 7″ et 12″ qui parsèment leur discographie, quand ce ne sont pas des side-projects (Fourtet étant le plus connu). la musique de Fridge, en dépit de leur patronyme, a souvent été qualifiée de brillante et froide, alors qu’à écouter Eph, leur nouvel opus, on en douterait franchement. Si le fait d’avoir comme références le jazz ou la musique progressive, si le fait d’utiliser samplers et séquenceurs, si le fait de ne pas faire saigner les guitares dans la plus grande tradition du rock’n roll s’apparente à de la froideur, alors ok.
Faisant fi du binaire et de ses joies simples -on ne les condamne pas pour autant-, Fridge part explorer des contrées peut-être moins défrichées, moins battues et rebattues, moins empruntées en tout cas (cela dit, Brian Eno, que je sache, est toujours considéré de nos jours comme un génie, et ce depuis les années 70, pour avoir démontré sur une poignée d’albums que l’on pouvait faire de la musique avec des machines), mêlant instrumentation classique (basse, batterie) et matériel numérique pour un résultat qui, aujourd’hui, prend réellement corps. S’il faut leur trouver des camarades de chambrée contemporains, on citera bien sûr Tortoise, pour le côté réfléchi, la musique de chambre justement, et l’approche nouvelle (un maximum d’idées et de liberté dans un cadre pré-défini strict), mais aussi Salaryman (rappelez-vous, cette émanation cyber des Poster Children qui nous avait bien plu il y a presque deux ans avec un album éponyme -on attend la suite, d’ailleurs). Mais Fridge ne se contente pas de faire en sorte que l’alchimie des moyens soit satisfaisante, il faut encore que le résultat soit probant. Alors Ark, longue montée en puissance qui débute l’album, tente de montrer qu’il peut y avoir de la tension et de la passion dans cette musique. Heum, le titre suivant, s’arc-boutant sur un fond de voix humaines concassées et de bruits de moteur, s’attache, à l’aide d’une rythmique lente mais omniprésente et très en avant, à mettre en évidence le côté organique de telles expérimentations.
Guitares traitées, feintes de batterie, basse en contre-plongée, rarement un disque de musique a priori technologique aura sonné de manière aussi humaine, aussi simple. C’est ce que disent, de Transcience à Yttrium en passant par Aphelion, les huit morceaux qui composent Eph. Bel eph-ort.