Franz Schubert est le frère musicien. Un jeune homme qui nous fait confidence. Il sait être tendre, simple et modeste. Il accompagne nos vies avec retenue jusqu’aux confins de la souffrance. Jusqu’au crépuscule. Ce wanderer de l’ère romantique -qui n’a pratiquement jamais quitté Vienne- possède en effet un génie instinctif, déchirant. Il accumule des mélodies épouvantablement présentes et bouleversantes. Les formes des œuvres qu’il conçoit n’ont pourtant rien d’innovant. Il ne s’éloigne pas des structures musicales préétablies, et se contente de prolonger les conceptions de Haydn ou de Mozart. On est bien loin des architectures que Beethoven entreprend.
Avec une quinzaine de quatuors, les deux quintettes (dont La Truite avec piano), les deux trios à cordes, avec piano, un octuor, la sonate Arpeggione…, la place de la musique de chambre dans l’ensemble de son œuvre est conséquente. Il a quinze ans lorsqu’il compose les premiers quatuors et il est déjà familier du genre puisqu’il prenait volontiers la place du violon à la maison depuis l’enfance. Cependant, la maturité de son talent n’est pas immédiatement perceptible dans ses premières œuvres (contrairement à ce qu’il produit dans les lieder). Il invente peu à peu, œuvre après œuvre, un style qui traduira plus ses ambitions musicales.
Les trois opus présentés dans ce disque représentent les différentes étapes de l’élaboration de son œuvre. Si les versions discographiques du quatorzième quatuor abondent, la Petite marche funèbre D79 est une véritable rareté. Composée en quelques heures (le 13 novembre 1813), cette œuvre est composée pour une formation de neuf instruments à vent. Un ensemble tout à fait original, assez naïf dans son intention, dramatique dans sa réalisation. Prémonition d’un jeune homme de 16 ans. Le trio à cordes en si bémol date lui de 1817, c’est le second du genre. Schubert a 20 ans et n’entendra jamais cette œuvre. C’est un jeu permanent entre les trois protagonistes, le violon, l’alto et le violoncelle. Enfin le célèbre quatuor La Jeune fille et la mort est l’expression même du génie schubertien. Totalement incomprise à sa création, cette œuvre s’est imposée au cours des années comme l’une des plus emblématiques de son auteur. Elle n’est que rigueur. Le quatuor Prazak, qui l’enregistre ici, est à son meilleur. Il recueille admirablement les fruits de son travail sur la musique de Webern et des autres Viennois. Cette Jeune fille et la mort pousse l’auditeur attentif aux confins des sentiments humains.