Frankie Sparo est un jeune compositeur dont on ne sait rien, sinon qu’il a quitté Vancouver pour Montréal il y a quelques années, plein de mots gravés dans la chair, de mélodies imprimées dans la tête, de talent brut de fonderie. Et puis son chemin croise celui des gens de Constellation. Ian, ex-Sofa et cofondateur du label, Efrim et Thierry de Godspeed, qui l’épaulent alors pour mettre au monde ce qui va devenir la treizième référence du catalogue : My red scare, un ovni bouleversant. Le genre d’objet précieux (sous-entendu qu’il s’agit là d’un objet d’artisanat, conçu et distribué par des musiciens et non des industrieux), avec lequel on entretient d’emblée un rapport privilégié, de proximité franche et directe, sous l’effet conjugué de plusieurs éléments. Une distribution réduite et non médiatisée ; un packaging cartonné invariablement soigné (première des politesses à l’adresse du mélomane payeur), loin de la standardisation des chaînes industrielles ; une instrumentation réduite (guitare, clavier, violon, percussions, électronique), et une production discrète mais travaillée (voix doublées et décalées, bruits de fond avec sensation de profondeur du son).
My red scare, ce sont onze compositions créant un univers bancal, oppressant, anguleux, lent, sombre, clairsemé, poétique, empli par une voix épuisée et déambulante, murmurant jusqu’au dernier souffle des textes étranges et menaçants (« I hear you still bleed in taxis/ And give all your lovers your favorite disease/ Oh do you spend entire evenings in lobbies/ The loneliest mademoiselle »). My red scare, ce sont onze bouts de vie pas drôle racontés sur le mode de la guitare acoustique (Bastard heart, If you’re fancy free, The Night that we stayed in) avec arrangements de cordes (The Loneliest Mademoiselle), ou de l’électrique, à grand renfort d’électronique, de beats squelettiques et lunaires (Diminish me NYC). Avec au passage quelques instants d’éternité et de grâce : Novak again, la plus jolie chanson capturée en état d’apesanteur, ou Send for me et son collier de notes électriques se déversant dans un linceul.
On pourrait penser au conteur Tom Waits (le statut d’intouchable en moins), à la noirceur d’Arab Strap (la délicatesse en plus, quelques bières en moins). Mais le canevas déstructuré des compositions, le chant parfois déconnecté des instruments, à la limite de la dissonance, l’ironie suggestive de la voix, les thèmes abordés, renvoient bien plus au Bill Callahan de Wild love, Julius Caesar et Kicking a couple around. Surtout, les compositions (toujours lentes) de Frankie Sparo sont entièrement cousues de silences. La musique se fend alors d’interstices dans lesquels chacun se trouve libre d’errer, de se perdre et de se laisser capter par la mélancolie. Le résultat est authentique, entêtant et simplement sublime.