Face au vacarme quotidien et assourdissant, la musique acousmatique se présente comme une proposition salutaire. Ce grand (gros ?) mot s’applique aux œuvres prônant une « situation de pure écoute » ; l’oreille y est en effet placée au centre. À ce titre, la musique acousmatique a pu être désignée comme un « cinéma pour l’oreille ». Il s’agit également d’une musique en rupture avec tous les éléments de causalité instrumentale afin de parvenir à une intensité de concentration in-ouïe. Pour autant, comme le rappelle Francis Dhomont, « ce qui est acousmatique, c’est l’écoute que nous avons des œuvres et non les œuvres écoutées ». Ou dit autrement par Dimitri Coppe : « La réalité n’est plus le son, mais l’action de l’écoute, où le geste perceptif est l’élément capital : une percussion n’est pas simplement un choc, mais la manifestation de corps en présence. »
François Bayle, longtemps directeur du Groupe de Recherches Musicales, doit être considéré comme le fondateur de la musique acousmatique. Il est aussi encore aujourd’hui l’un des descendants les plus directs des pères de la musique concrète, Pierre Schaeffer et Pierre Henry. À la différence de ces derniers (monophoniques), il se présente « comme un enfant de la stéréophonie » ; autant dire que l’espace constitue l’élément fondamental de son œuvre. Ce 14e volume du cycle François Bayle rassemble deux » suites » musicales aussi complexes que convaincantes.
Espaces inhabitables en 1967 a inauguré ou plus exactement renoué avec le potentiel d’évocation, de suggestion propre aux sons fixés et manipulés. En effet, Bayle ajoute à son dessein spécifiquement musical un faisceau d’évocations littéraires : Verne.
(Hommage à Robur) et Bataille (Le bleu du ciel) sont les deux figures directement évoquées par les titres de mouvement. Mais l’on peut penser aussi à Paul Klee, Lewis Carroll, Gaston Bachelard. Véritable parcours mélodique, il s’agit aux dires même de Bayle de sa première oeuvre véritable, celle du moins qui lui a ouvert les chemins de l’acousmatique. Le son surgit d’un coup, on ne sait trop d’où ni comment ; son pouvoir de sur-réalité donne naissance à une géographie du souvenir, territoire d’un réel réévalué.
Camera Oscura, (1976, revue en 2000), est conçue « comme une mise en scène du murmure intime entre le son et un personnage-sujet ». Créée sur scène à Metz avec une chorégraphie de Jean Babilée, l’oeuvre est construite en deux blocs d’égale longueur où se confrontent des sons concrets et réalistes (rebond obsessionnel d’une balle de ping-pong ?) et des sons électroniques. Ici aussi se dessinent les visages de plusieurs artistes : Borges, Max Ernst et Vinci. L’univers poétique que dégage cette partition, liée au noir originel, s’agence dans un savant tissu de lignes et de grappes sonores. L’armée des ombres défile dans un cortège glacé et angoissant, tout juste sauvé par un rai de lumière conclusif. En définitive, François Bayle apparaît plus que jamais comme le poète de la réalité électronique.