Ce premier long player compliqué de Ford & Lopatin tombe exactement au moment où l’on ne sait plus trop quoi penser des gamins nés en 1990 qui ressassent l’année 1983 à notre place. Toujours fascinés par les recyclages prescients de James Ferraro et de quelques autres, on valse un peu plus près de la nausée à chaque fois que The Wire ou le disquaire en ligne Boomkat adoubent un vinyle limité affilié hypnagotruc, au point qu’on ne saisit plus s’il faut honnir ou tolérer notre propre propension à nous délecter des poussières oniriques qu’on soumet à notre coeur nostalgique.

Curieusement inspirés, Daniel Lopatin (alias Oneohtrix Point Never, largement exposé dans nos pages) et Joel Ford (échappé de Tigercity, collectif revivaliste bien relou) se sont piqués de prendre le large du tout venant boueux, naturaliste et lo-fi du synthétique post 80’s qui pense trop pour bâtir un nouveau syncrétisme certes obnubilé par le rétrofuturisme, la science-fiction et l’année 1983 (en fait l’année 2083, où se déroule la narration en creux de ce concept-album lacunaire), mais revus et corrigés par une science de l’edit et du traitement sonore qui fleure bon le mirage du tout séquencé, tout numérique d’il y a quelques années. La faute au presque tricard Scott Herren de Prefuse 73, qui mixe l’album ? Vraisemblablement intéressés par l’imaginaire technopositiviste à toutes les époques et ces technologies embryonnaires qui témoignent d’un futur qui aurait avancé à reculons, Ford et Lopatin déterrent en tout cas un fascinant pont esthétique entre différentes incarnations du state-of-the-art supersonique, des studios MIDI rutilants du début des années 80 jusqu’aux home-studio dépenaillés où se bâtit le gros de la production contemporaine. Bye-bye arpèges analogique nuageux, bonjour séquences tournoyantes de DX7 et futurisme béat des premiers jours de la computer music : si Channel pressure a des horizons passéistes, ce sont les sorties du label ZTT de Trevor Horn et Paul Morley (Art of Noise, Propaganda…), les hologrammes de Thomas Dolby et Anna Domino, les chansons pas finaudes de Wang Chung ou du plus beau disque mainstream de l’année 1983, le Naughty boys de Yellow Magic Orchestra.

Si le duo cristallise encore l’obsession du moment pour l’imagerie vernaculaire des années 1980 et ses halos de néons bleuâtres, la logique circulaire même de leur double mise en abîme (l’an 2083 à travers le feeling de 1983, c’est pas rien) rend les enjeux des emprunts et de divers traitements qu’il leur fait subir (fragmentations, défragmentations, contextualisations, decontextualisations) bien plus convaincants que les parties de mimétisme instantané de la plupart des artisans retro-synthétoc. Alors on entend bien défiler et se disloquer les catalogues new wave early digital, pop FM 80’s (I surrender, The Voices), electro-funk aux claps’n’slaps bien gras (Too much midi) voire r’n’b dégoulinant (Break inside, à mi-chemin entre R. Kelly et Prince), mais on voit surtout les images très émouvantes qui les accompagnent. Reprendre le pouls de l’humain dans un univers où la technologie est devenue lisse comme une pierre blanche, c’est sans doute là que se situe finalement l’alibi nostalgique et sentimental du tandem. Et il y a de quoi être bluffé.

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