A priori, il faut toujours se méfier des disques « crossover » qui ré-explorent un genre préexistant en le rhabillant avec des beats hip et des scratches tendance (cf. les douloureuses excavations papier-peints de Jay-Jay Johansson). Mais après écoute attentive, la créature qu’est Fog, un très jeune américain de Minneapolis au spleen très prononcé, n’est en rien superficielle. Certes, il fait se télescoper folk dépressif et beats démontés, mais la rencontre n’a rien du procédé, pas besoin d’une thèse en musicologie pour s’en rendre compte. Les bidouillages de platine n’habillent pas, ils structurent et déstructurent ; ils ne se contentent pas d’éroder les surfaces de toutes façons déjà complètement accidentées et défoncées des chansons, ils les habitent. Les expérimentations platinistes du garçon possèdent en outre une réelle originalité sonore, qui rendent ses chansons immédiatement singulières.
Le songwriting de Fog est donc unique. Il accumule accords pleureurs, samples élastiques et beats scratchés de manière hasardeuse, assemblés de manière floue et parfois réellement mystérieuse (Hitting a wall ou Fool n’ont de cesse de se décomposer puis de se recomposer sans que l’on comprenne jamais vraiment comment ni pourquoi). Par moments, de vraies chansons prennent forme (le merveilleux Pneumonia, le très beckien Staring at the dashboard), le plus souvent les couches se superposent de manière aléatoire, suggérant les mélodies plutôt que de les faire remonter à l’air libre. Le milieu du disque perd ainsi l’auditeur dans un méandre insoluble de sons et de rythmes en débâcle littéralement apocalyptique.
Enfin c’est la troisième partie du disque, la plus belle mais la plus évidente, qui nous transportera le plus loin : Glory et ses violoncelles rêveurs sur lequel vient pleurer Dose One d’Anticon, le presque gothique Ghoul expert et l’abyssal Stay out constituent l’épitaphe fabuleusement mélancolique d’un grand disque triste, le premier de cette année 2002. Les fantômes d’Idaho, Palace ou Springsteen rôdent, et Fog joue de sa tristesse avec la même dextérité qu’il joue de ses platines. La rencontre des deux est habitée, et simplement indispensable.