Depuis plus de quarante ans, Faust représente l’avant-garde, au point de laisser l’homme moderne perplexe : qu’a fait la garde entre temps ? Faisons l’économie d’un rappel de la trajectoire du groupe et de ses condisciples de la scène ouest-allemande depuis les années 70, ainsi que de leur influence : Faust ne se considère absolument pas comme un groupe précurseur, conscient que « tout a déjà été dit et fait » et considère apporter seulement « une nouvelle facette à une grosse balle qui tourne depuis toujours » selon Peron. S’il fut un temps (1973, quand même) où le groupe, avec The Faust Tapes squattait les ondes FM, on peine à imaginer que pareil scénario puisse se répéter. Ce constat est d’une grande tristesse pour quiconque allume un autoradio par mégarde ou pour tromper l’ennui. Désormais un duo, composé des membres fondateurs Jean-Hervé Peron et Zappi Diermaier, le groupe revient trois ans après son dernier effort avec un disque réfléchi jusqu’à son titre, jUSt, à prononcer Just Us. Le dossier de presse indique que les musiciens invitent « le monde entier » à utiliser jUSt comme « une base sur laquelle construire sa propre musique » et l’écoute de l’album permet légitimement de penser qu’il ne s’agit pas là d’un propos gratuit ou d’une banale provocation, mais d’une réelle intention. On peut qualifier jUSt de disque exigeant dans la mesure où il peut rebuter le profane ou le sceptique. Il s’agit bien d’un album pour oreilles averties et consentantes.

(Live in Copenhagen, November 6th, 2014) »]

Ce jUSt s’éloigne des productions précédentes de Faust. Moins bruitiste, affranchi des collages sauvages du passé, le disque apparaît comme un ensemble globalement proche d’un post-rock qui aurait exterminé ses tentations lyriques et l’alternance montée-descente de montagnes russes en carton-pâte. A l’image du classieux et aérien morceau final, « Ich Sitze Immer Noch », jUSt s’appuie sur des riffs simples, des rythmes répétitifs et en boucle, de la place pour les silences et surtout une sensation d’espace qui ravira certains et frustrera d’autres qui n’auront de cesse d’imaginer ce qui aurait pu être joué en plus. L’idée de Faust fonctionne sur ce point. L’opposition action/suggestion de jUSt rend cet album complexe et parfois insaisissable : génie ou escroquerie ? Au moment de trancher, un terme plus simple apparaît, à condition d’accepter le pacte narratif imposé par Faust : talent. Faire d’un travail fini un objet potentiellement évolutif est une gageure impressionnante. Ceux qui refusent le concept se contenteront de penser qu’il s’agit là de l’œuvre d’un duo et que l’absence d’un troisième musicien est flagrante. Les plus virulents, oubliant la notion d’avant-gardisme, évoqueront un album non-achevé.

 

Les nouvelles compositions de Faust montrent une évolution, sans renier une démarche personnelle depuis plus de quatre décennies. Pourtant, on ne saurait trouver l’ensemble daté, désuet ou vieillot. A bien y réfléchir, c’est une des caractéristiques des grands groupes : être toujours d’actualité, ne jamais vieillir. Cet album de Faust symbolise une musique qui doit exister, basée sur la démarche artistique et la recherche d’une esthétique, aussi fascinante que (volontairement ?) frustrante. Alors que les productions modernes oublient l’importance du silence, si ce n’est pour mettre en avant un solo, souvent pour le pire (« je chante », « je joue bien de la batterie/de la basse/de la guitare, t’as vu », etc.) et remplissent les espaces à l’extrème, Faust rompt avec les habitudes confortables. Peron et Diermaier divisent les auditeurs entre consommateurs et acteurs, perdant irrémédiablement les premiers.