Des mois que je dois écrire cette chronique de Spazio et de Clic Clac, des mois que je repousse, pour je ne sais quelles raisons. Parce que j’ai eu l’impression que Fabio Viscogliosi me snobait légèrement la seule fois où je l’ai rencontré ? Parce qu’il est trop proche du marigot indé dans lequel je traîne en tant que musicien ? Ou parce que je ne sais trop que dire de ces deux albums, trop prévisiblement attachants, trop gentils, trop accessibles, pour moi tout du moins ? Voilà deux disques qui traînent sur le bureau, que j’écoute par petites touches, en me disant « c’est pas mal quand même » sans jamais faire le pas d’écrire dessus… Aujourd’hui, il faut y aller. Ces disques méritent qu’on les écoute, et qu’on en parle. Par ailleurs, le label de Fabio Viscogliosi, Microbe, est un des derniers labels indépendants en France. Son travail force le respect et mérite d’être défendu. De pareils disques ne sortiraient pas, s’il n’y avait de pareilles structures pour les accueillir.
Spazio est donc le premier album de Fabio Viscogliosi, jeune homme italien dont on a déjà entendu le chant délicat sur l’album des Married Monk paru l’année dernière, R/O/C/K/Y, où il reprenait en beauté Ancora tu, de Lucio Batisti. Les 14 titres de cet album de ballades minimalistes, parsemé de petits claviers cheap, de pianos suspendus et de guitares claires, égrenant ses ritournelles en italien, à la manière du « chanteur de charme » (dixit la bio) transalpin, sont de parfaits accompagnements aux premiers dimanche ensoleillés de février. Une invitation au farniente, à une certaine mélancolie hivernale. Entre l’école de Tucson (ce rock acoustique et languide, qui fait la part belle aux percussions et aux sons clairs : Calexico, Jim Waters, Little Rabbits, Amor Belhom Duo…) et une tradition instrumentale qui va de Ennio Morricone à Robert Wyatt ou Brian Eno, Fabio construit ses mélodies répétitives et liminaires avec une parcimonie de sonorités qui relève plus de l’art de l’équilibre que de la timidité. Chaque instrument a sa fonction et son détachement, et chaque titre opère comme une polyphonie discrète. Eminemment agréable à écouter, Spazio pêche peut-être par prudence, introversion et désir de plaire, et aucune aspérité n’affleure de cet objet trop doux. Mais ce disque sait plaire aux jeunes filles (notamment Elyzabeth François, de la rubrique ciné de Chronic’art, ou Emilie Renaudat, du magasin French Touche, pour sa douceur justement, ou pour le mythe du latin lover romantique ?), ce qui est plutôt bon signe commercialement parlant.
On lui préférera le projet parallèle et instrumental de Fabio Viscogliosi, Big Yum Yum, dont l’album est une collection de reprises intempestives de standards évidents ou obscurs de la musique de films. Big Yum Yum, projet commun de Fabio Viscogliosi et du chef d’orchestre Sylvain Koelsch, a fait appel à sept enfants solistes, pour reproduire ces thèmes musicaux, entre un Langley School Music Project instrumental et un Pascal Comelade sans le côté cabaret baroque de ses dernières productions. Clic clac restitue avec un rien (quelques pianos jouets, xylophones, petites basses sourdes) les ambiances éternelles de thèmes mémorables : Les Valseuses du violoniste Stéphane Grappelli, A bout de souffle de Martial Solal, Le Tourbillon de Delerue et Rezvani, en en retenant le squelette intime, le souvenir ténu, les lignes mélodiques réduites à leur essence et stylisées par quelques instruments paupéristes, à la limite du faux et du bancal, spontanées et flottantes. Un art de la reprise et de l’approximation qui sait faire la part belle au silence et à l’imagination.
En parlant d’images, Fabio Viscogliosi sait aussi dessiner, et très bien. C’est lui qui a illustré les pochettes de ses deux disques, et il a édité des livres illustrés au Seuil et à L’Association. Son nouveau livre, Ma Vie de Garçon, sortira en avril 2003. Bref, ce garçon est un artiste complet. Et peut-être suis-je tout simplement un peu jaloux ?