Réduit depuis 1990 à un duo (Arturo Lanz & Saverio Evangelista), le groupe légendaire n’a pas changé son fusil d’épaule et continue de sortir ponctuellement des disques sur son propre label, Geometrik. Le dernier en date, Ultraphoon, est sans doute l’un des plus ambitieux de leur carrière et n’a rien à envier aux « classiques » Kosmos Kino (1987), Mekano Turbo (1988) ou Sheikh Aljama (1991).  Auteur d’une quantité considérable d’albums devenus introuvables, rien ne semble pouvoir l’arrêter dans sa quête de la transe au moyen de fréquences distordues, de samples de discours glanés à la radio ou à la télé et de boîtes-à-rythmes à la cadence brutale et obsessionnelle. Le tout souvent teinté de réminiscences orientales, baléariques et andalousiennes, mais sans jamais tomber dans l’écueil de la world music. Leur unique raison d’être ? Balancer un rythme pur et abrasif « qui attaque le cerveau » et déborde des frontières, au propre comme au figuré. A l’occasion de leur concert dans le cadre du festival Sonic Protest, avec les non moins intenses Fusiller et Ryan Jordan en charge d’ouvrir le bal, nous les avons soumis à une poignée de questions. Arturo Lanz, fondateur du groupe, y a répondu avec un certain laconisme.

Chro_ Esplendor Geometrico a toujours été très en avance sur son temps et semble obtenir enfin la reconnaissance qu’il mérite. Comment étiez-vous perçu en Espagne à vos débuts ? 

Arturo Lanz : Nous avons toujours été ignorés et méprisés en Espagne. Très peu de gens nous connaissaient. Le type de musique que nous pratiquions était très rare en Espagne à l’époque.  Il y avait très peu de groupes expérimentaux, et  nous n’étions pas en contact les uns avec les autres. Nous avons toujours fait notre musique dans notre coin. J’étais étudiant à l’époque et ça ne m’intéressait pas d’entrer en contact avec d’autres groupes.

D’où vous est venu ce goût pour une musique dure, agressive et mécanique, qui était très radicale pour l’époque, voire même considérée comme inécoutable. 

Eh bien, d’aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours aimé les ryhtmes. Notre influence primordiale était Throbbing Gristle et nous cherchions à surprendre les gens, à créer un choc esthétique. Mais au fur et à mesure, nous nous sommes concentrés sur l’impact sonore davantage que sur l’impact visuel.

La musique expérimentale des années 1980 faisait fréquemment référence aux courants d’avant-garde du 20ème siècle, comme le dadaïsme, le constructivisme, le futurisme, et votre nom est un emprunt direct à Marinetti. Etiez-vous fortement influencés par ces mouvements artistiques ?

Seulement en des termes esthétiques, et non théoriques. Il n’y a aucune démarche intellectuelle dans notre musique. C’est purement intuitif. Rien de conceptuel. Une pure décharge d’énergie transmise par les rythmes.

Vous n’avez jamais utilisé d’instruments « rock » traditionnels, comme la guitare ou la batterie. Pourquoi avoir fait ce choix initial d’utiliser seulement des synthétiseurs, des bandes et des effets électroniques?

A l’époque, on se disait qu’on pourrait faire davantage de boucan avec des synthétiseurs qu’avec des instruments conventionnels. On a vendu guitare et basse pour acquérir à la place deux synthétiseurs Korg : un MS10 et un MS20. Et on est resté fidèle à l’électronique, même si on s’est adapté à la technologie digitale.

Vous incorporez beaucoup de références au Moyen-Orient, à l’Asie, surtout sur les disques Sheikh AJima et Polyglophone, tout en restant très ancré dans la culture hispanique. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces collisions de cultures ?

La musique est universelle. Les frontières sont des constructions artificielles. On peut toujours trouver des liens entre des cultures diverses dans la musique et les chansons de n’importe quel pays. Je n’ai jamais été limité géographiquement.  La langue espagnole possède une sonorité très particulière qui fonctionne à merveille dans nos morceaux. Mais nous utilisons aussi bien le japonais, l’allemand, le chinois… Nous ne cherchons pas à transmettre un message particulier.

Vous faites une musique qui repose beaucoup sur les nombres, les boucles, le tempo… Vous intéressez-vous aux méthodes de composition issues des mathématiques ? 

Saverio s’intéresse aux mathématiques, mais à vrai dire, on ne pense pas à grand chose quand on compose. Je ne pense plus à rien dès le moment où je me laisse entraîner par les rythmes. 

Vous avez entamé une collaboration avec Francisco Lopez (compositeur espagnol et biologiste dont la musique bruitiste et radicale s’appuie essentiellement sur des sons d’environnements naturels, NDR) sous le nom de Biomechanica. Comment avez-vous été amenés à collaborer ?

Francisco et moi sommes amis depuis l’adolescence. Notre collaboration résulte d’une envie mutuelle de faire converger nos styles. Francisco a investi bien plus de travail que moi pour la réalisation de ce projet. Nous avons pris beaucoup de plaisir à travailler ensemble.

Chris & Cosey et Coil ont contribué à l’album de remixes EN-CO-D-Esplendor. Avez-vous continué à collaborer ensemble par la suite? 

Non, nous n’avons jamais eu la chance de travailler ensemble et je n’ai jamais eu l’occasion de les rencontrer, mais j’ai un immense respect pour eux.

Les sonorités industrielles et les rythmiques abrasives sont aujourd’hui monnaie courante dans la dance music et la techno expérimentale. Vous intéressez-vous à la club culture ? 

J’adore la musique de danse. En particulier la plus tribale. J’adore danser.

Votre musique est néanmoins plus sophistiquée et moins primitive qu’à vos débuts. Comment s’est opéré votre passage de l’analogique au digital ?

L’arrivée de l’ordinateur nous a simplifié la tâche,  pour moi c’est un outil plus flexible, plus versatile. Ca permet de produire une palette de sons bien plus vaste.

Mais je n’ai pas de préférence, l’important ce sont les rythmes et les sonorités qui en résultent.

« Ultraphoon » est un album plus produit, avec des sonorités très actuelles qui rappellent parfois celles d’Autechre. Pouvez-vous raconter l’ « histoire » du disque ?

Il n’y a pas d’histoire. Il y a juste besoin d’écouter et de se perdre dans la profondeur du son.

Sonic Protest présente :

SAMEDI 4 AVRIL 20h00
CENTRE BARBARA FGO / PARIS
1, Rue Fleury, 75018 Paris
12€ (prévente + frais de loc) / 15€ (sur place)
Avec le soutien de l’Onda – Office national de diffusion artistique

ESPLENDOR GEOMÉTRICO
RYAN JORDAN
FUSILLER
DJ UNGLEE IZI