Cinq secondes, et vous savez que vous y êtes : il n’en faut pas plus pour reconnaître le son inimitable du trio EST, le plus mondial des trios de jazz scandinaves (son leader nous corrigerait peut-être en parlant de « quartet » plutôt que de « trio », l’ingénieur du son Ake Linton, responsable de cette sonorité léchée et identifiable qui est la première marque de fabrique du groupe, étant presque un musicien à part entière). Fading maid preludium, morceau inaugural qui se retrouvera sous un titre approchant (Fading maid postludium) en fin d’album pour boucler la boucle, contient tous les ingrédients qui font à la fois la signature et le succès du groupe : une composition lisible et facilement mémorisable, signalant l’influence de la pop music et de la chanson (Svensson confesse fredonner à voix haute les lignes mélodiques des thèmes au moment de leur construction pour pouvoir aller au plus simple et, partant, au plus efficace) ; des sonorités claires et contrastées, avec un piano limpide et lyrique que viennent salir des samples crasseux et une batterie énorme, légèrement triturée par des traitements électroniques ; un sens consommé de la progression et de l’architecture pour un impact maximal sur un auditeur immédiatement envoûté.
De fait, il est difficile de résister au pouvoir de séduction de cette musique qui, avec ses inflexions rock et sa manière géniale de capter l’air du temps (écoutera-t-on les cinq derniers albums du trio EST dans vingt-cinq ans comme emblématiques du jazz de ce début de siècle ?), demeure l’une des propositions les plus passionnantes qui soient apparues sur la planète jazz depuis un petit moment ; l’exceptionnelle propension des trois musiciens à imaginer des mélodies d’une impeccable simplicité (faites le test : à la deuxième écoute, vous avez déjà l’impression de bien les connaître) se vérifie une fois encore tout au long de l’album. Reste que Tuesday in wonderland (un titre qui ne veut rien dire de spécial, admet le batteur Magnus Öström, sinon que « si vous commencez à apprécier les petites choses de la vie, vous verrez le mardi sous un tout autre jour ») n’apporte rien de nouveau par rapport Strange place for snow ou Viaticum, et que l’on a tendance à attendre des surprises que le trio n’offre finalement pas, au risque de se répéter. Quoique chaque titre recèle ses richesses, l’album souffre d’ailleurs d’une sorte de ventre mou qui, passé le plaisir des trois ou quatre premiers morceaux, finit par transformer l’excitation non pas en lassitude (il ne faut pas exagérer), mais en une sorte d’écoute sereine et polie, sans véritable stimulation. Epuisement de la formule ou sévérité excessive du fanatique déçu ? Tuesday in wonderland vaut bien sûr le détour, surtout pour les (rares) mélomanes qui ne seraient pas encore familiers de la touche EST ; que les inconditionnels sachent cependant qu’ils s’engagent en terrain connu.