Tous ces songwriters… L’année dernière, Ed Harcourt a déjà eu sa chance, avec Mapplewood, un maxi cinq titres dont peu d’auditeurs ont gardé un franc souvenir. Il fallait le réécouter. Chose faite, cet EP n’est qu’une collection de petits pastiches de Beck acoustique, sur lequel la voix d’Ed Harcourt sait être puissante, mais souffre d’un profond maniérisme. Heureusement, le voilà qui nous comble totalement, avec Here be monsters, un album difficile, inattendu. Froid et dépouillé au premier abord, et qui tarde à démarrer. Mais qui révèle ensuite une surprenante cohérence, des arrangements aussi discrets que précis, et surtout quelques titres qui témoignent d’une profonde passion pour le chant solennel.
Ed Harcourt a l’écriture dense et grave. Ses mots sont noirs, proches de Poe, un peu pompeux (God protect your soul) et ses humeurs toujours sombres. Dans un climat étouffant, cerné par un piano mélancolique et des guitares discrètes, difficile de ne pas faire une tête d’enterrement, le temps que la voix se révèle. Ed Harcourt use peu d’effets, et voudrait que tout le monde soit aussi sincère que lui. « Je déteste lire des interviews de groupes qui citent Bitches brew de Miles Davis, Can, ou Aphex Twin. Lorsqu’on écoute leurs disques, il s’agit en fait d’un truc indie pas terrible. » Par contre, il est moins réticent lorsqu’il s’agit de faire l’éloge de Morphine ou des Flaming Lips. Tom Waits est également un nom qui vient régulièrement à l’esprit, comme le ballet d’un métronome, à l’écoute de ce disque parfaitement maîtrisé qui tire le piano du bastringue et l’emmène dans la nature (Those crimson tears), ou bien parvient à rendre la comptine enfantine, par une voix de plus en plus assourdie et molle, presque terrifiante (Wind through the trees). On ne peut reprocher à Ed Harcourt le sérieux de son travail, et le soin pointilleux qu’il a porté à chaque harmonie. Tout y est travaillé, bien élaboré. Il convient aussi de saluer son envie palpable de jouer les romantiques incrédules, les poètes tendres mais réalistes, voire les fins lettrés (Beneath the heart of darkness inspiré par Conrad). Chaque chanson possède sa part de rondeur (la musique), et son traumatisme (la voix sèche et lente), qui ont fait dire à la presse anglaise qu’Ed Harcourt était un songwriter d’une maturité rare. Ce serait pourtant plus juste d’avancer que notre homme est d’une dureté exemplaire : un peu comme Perry Blake, en beaucoup plus bavard et viril, il ne s’autorise aucune facilité mélodique, aucune mièvrerie instrumentale.
Il manque seulement à ce disque magnifique un rien de folie qui en aurait fait, peut-être, un chef-d’œuvre. Ed Harcourt est si concentré qu’il semble parfois oublier l’horreur des mots chuchotés. Ce qu’illustre He is building a swamp, sur lequel il évoque ses pulsions de violence qu’il ne peut réfréner. « J’ai effectivement une certaine prédisposition à la violence » affirme-t-il. Dommage que sur le disque, il les retienne un peu trop.