Il y a quelque chose de dérangé chez Earl Zinger’s, un truc pas net qui donne envie d’en savoir plus. Avec un titre d’album qui se défend bien au championnat du kilomètre abstrait, le bonhomme inaugure son karaoké. Ambiance garantie, un peu de strass et de paillettes pour la forme. La métaphysique n’est pas obligatoire.
Tout y passe sur le disque, des années 40 à aujourd’hui. Dix-huit morceaux où ce dingue de Earl tronçonne au scalpel sa culture, ses disques favoris. On se demande parfois dans quelle direction tout ça s’envole. Dans toutes, semble-t-il. La première fois c’est un peu bizarre, avouons-le. Il y a de tout partout, de quoi s’y perdre, et puis au bout du compte on s’habitue plutôt bien à ce foutoir vernis. Parce que Put your phazers… est tout de même un peu plus qu’une suite de boucles amassées ensembles à la truelle. Avant de partir tête baissée dans la désinvolture, on sent qu’il a pensé son affaire, Earl, et du début à la fin. Ils sont bien léchés les sons qui nous traversent la cervelle, bien étudiés pour viser juste et ce, jusqu’à l’artwork du disque et au secret dont s’entoure Zinger’s, qui n’hésite pas à se faire officiellement passer pour l’éminence grise de la musique, revendiquant une influence imaginaire à travers l’histoire, sur Bob Dylan ou Gilles Peterson.
C’est peut-être ce trop de perfection qui pourrait parfois laisser sur sa faim. Cet album est un large dérapage contrôlé, trop contrôlé au final. Earl Zinger’s réveille en nous des pulsions de jeunes ados délurés, de ceux prêts à tout essayer. Il ne se lâche jamais totalement. Son invraisemblable collage ne bave pas suffisamment, ne poisse pas assez les doigts pour être tout à fait réel. Alors il arrive, forcément, que le disque connaisse des passages à vide. De ces moments où on oublie qu’il y a quelque chose qui tourne dans la platine. Un bruit au loin, les voisins sans doute. Et puis cette musique improbable revient nous chercher, nous replonge la tête dans son kaléidoscope halluciné. Earl Zinger’s, alias Rob Gallagher chanteur chez Galliano, une sorte de Frank Sinatra en patchwork. Parfois superbe, parfois proche du hors jeu. Le type qui a bouffé du Afrika Bambaata et du Happy Mondays pour régurgiter du Shuggie Otis et du Tom Waits. Faut pas cracher dans la soupe, il est fort le garçon. Pas évident d’en assumer autant. Au jeu du copier coller les yeux fermés, beaucoup se sont ramassés. Pas lui. Il trébuche parfois, tout au plus.
Pas de mauvais morceaux, mais trop de densité, trop de perfectionnisme, pour tenir en haleine du début à la fin. Si Put your phazers… connaît des moments incertains, c’est peut-être qu’il n’appartient pas à ces disques qui s’écoutent d’une traite. Il faut s’y promener en électron libre. Earl Zinger’s n’a pas créé un album historique mais il n’empêche, sa musique sera parfaite ce soir et salutaire demain matin. Il ne doit pas y avoir de mal, comme disait l’autre.