Eardrum est un duo composé de Lou Ciccotelli (batteur de Laika, Spleen, Mass, God et Ice) et Richard Olatunde Baker (percussionniste pour CathCoffey, NT, Akure Wall). Last light est leur premier album. Jusqu’alors, ils avaient sorti un single sur Soul Static Sound, et un titre sur les compilations Macro Dub Infection II et Osmosis, le sampler de Leaf. Rencontrés pour l’occasion par le biais d’une petite annonce (!), ils utilisent une batterie et de multiples percussions africaines, auxquelles s’ajoutent parfois les sons électroniques de Gary Jeff, les instruments (flûte, piano, percussions) du maître nigérien Nana Tsiboe ou la trompette de Matt Barge. Toutes les sessions ont été enregistrées et mixées live, sans samplers, ni séquenceurs. Le résultat est un mélange puissant et étrange, comme une musique du monde imaginaire, concentrée en dix morceaux emballés dans une pochette tout droit issue du meilleur de Vaughn Oliver…
Le premier morceau (et probablement le meilleur), Swarm, emmène l’auditeur dans un bayou vénusien particulièrement inquiétant tandis que Lizard mélange percussions syncopées et effets électroniques plutôt urbains. La rencontre de General Magic et de 23 Skiddo, en quelque sorte… Une transe hypnotique aussi lancinante que fascinante, par sa maîtrise et sa profondeur. Le court Roach évoque des paysages sous-marins ou bien une vie des profondeurs… Le dub n’est pas loin, bien sûr, tout au long de ce Last light. Dans Roach, il est seulement évoqué par les échos nombreux qui parsèment ce mini chef d’œuvre libre d’une minute quarante secondes. Plus minimal, Swamp doctor emporte l’auditeur dans la vie nocturne des marais, celle qui terrorise parce qu’on ne sait pas d’où proviennent les bruits et quelles sont les choses qui peuvent les émettre… City collision nous fait faire un détour poly-rythmique par l’Afrique noire pour ensuite la faire se télescoper avec un ingénieur fou sorti de l’IRCAM : peu ont réussi cette symbiose, Eardrum l’a fait avec un talent et une finesse confondants ! Juste après, Nightblind, plus classique, surprend moins mais le très contemporain Plummet relève le niveau. Non, ce ne sont pas les percussions de Strasbourg qui jamment avec Art Blakey, juste un trio inspiré. On sent d’ailleurs nettement dans Nightcrawler (décidément voilà une musique nocturne) l’influence de Ciccotelli et de son passé avant pop : il n’y a que lui dont le jeu de batterie évoque avec autant de force une boîte à rythmes déréglée avec génie. Beaucoup d’électronique aussi dans ce rampeur de la nuit qui s’insinue dans le cerveau comme un parasite. From the nucleus donne l’impression d’avoir été enregistré au fin fond d’une grotte humide par des spéléologues mystiques et encore une fois, c’est fascinant. Enfin, Low order termine cet album captivant en enfonçant le clou : noyées de reverb’, les multiples couches de percussions entraînent l’oreille dans un ailleurs magique à la fois très terrestre et très aérien. C’est ce subtil et inédit mélange qui fait de Last light un disque unique et passionnant dont seules de nombreuses écoutes peuvent révéler toutes les richesses.