On se précipite un peu sur le sujet DyE, parce que la grande injustice qu’on craint à son propos est de perdre sa musique dans le grand recyclage des disques oubliés par l’époque. On en convient, tous les syndromes de la musique moderne y sont parfaitement alignés, et aucun ne concourt vraiment à la mémoire du disque sur le long terme : la tendance au crossover en accéléré, l’étendue anarchique des influences qu’il expose dans ses podcasts, les collages grossièrement détourés qui font ses artworks, la typo fluo du pseudonyme, la majuscule irrégulière, etc. L’injonction obscurantiste du label à regarder tout droit en avant n’invite pas tant non plus au détachement et à la hauteur : « Oubliez la chillwave, la witch-house, et le post-whatever. Il se joue ici la pop du prochain millénaire grâce au sound-design unique de DyE : des sons chimiques sur des mélodies tristes, des synthés rêveurs et de très profondes lignes de basses ». Il n’y a finalement pas grand-chose qui éclaire sa musique au delà du néant générationnel, et pour ne rien arranger, il n’y a encore aucune ligne écrite à son compte.
Et pourtant, il se trouve chez DyE un double crochet sans égal sur notre territoire : une évidence mélodique qui lui vaut déjà une double paire de singles et un beau remix à son actif (Nike, Fantasy, son joli travail de commande pour le groupe Scenic), et surtout cette dialectique riche entre la naïveté des leitmotiv et ces textures épaisses, qui gonflent de simples ritournelles en hymnes de stade. Tout cela avait rendu DyE plutôt excitant à voir sur scène, même caché sous hoodie et illuminé de stroboscopes – au moins assez pour qu’on s’intéresse de plus près à son premier saut en longueur.
Taki 183 ouvre ainsi sur l’héroïque Nike, dont le synthé rouleau compresseur se trouve tellement raidi au bit-crusher qu’il est vraiment impossible à arrêter. Le deuxième single Fantasy souffle plus froid et gèle du coup le tempo, bien qu’on y découvre assez ému le timbre de son auteur. A notre grande surprise, ce sont les deux morceaux suivants qui nous révèlent un vrai potentiel chez DyE, quand lui répond enfin à tout son héritage synth-pop et à ses modulations innocentes. Cristal d’acier évoque ainsi très clairement Didier Marouani (période Magic fly), dont il propose une relecture moderne avec ses basses extrêmement denses et ces résonances de cloches qui enlèvent le morceau bien au-delà des nuages. Le titre suivant Vader en est l’envers possédé : on quitte nos horizons spatiaux pour une étoile noire, peuplée de Space warriors et des machines de l’empereur, si inquiétante que la mélodie s’écroule devant une inflexible ligne de basse. Le vaisseau s’égare hélas en chemin sur le reste de l’album. DyE oublie un peu trop vite son époque quand il intègre à sa course sous-marine des basses slappées empruntées à Nine Inch Nails (Hole in ocean), ou quand il s’essaie à un futurisme IDM vieux de quinze ans (Immortals only). Faute de contrôle sans doute, les mélodies explosent en vol (Mattias & Charlotte) ou se trouvent raccourcies (Dark white). On craint le manque d’énergie, seul l’éponyme Taki 183 maintient encore le cap vers de nouveaux horizons krautrock.
Mais le malheur de ce premier vol n’est pas tant son irrégularité, que la crainte de le voir subir un préjudice comparable à celui d’autres hybrides modernes (Crystal Castles, Washed Out, Salem, et même Odd Future). Leur choix d’embrasser à fond le présent plutôt que le passé, on le sait, déboussole l’opinion musicale assez pour qu’elle ignore systématiquement en retour tout de leurs coups d’éclat et de leur potentiel. Ce serait bien dommage en ce qui concerne DyE en tout cas, tant on n’attend de lui que du mieux à l’avenir.