On connaissait les ciné-fils de Serge Daney. Nicolas Laureau, aka Don Nino (Prohibition, NLF Trio), exporte le concept de filiation à la culture pop en proposant ces jours-ci un album composé exclusivement de reprises, de Gainsbourg, Sonic Youth, Syd Barrett, Bauhaus ou les Beatles notamment. Epaulé par Ben Rault (Ben Symphonic Orchestra), Dominique Petitgand et F.lor, avec Shane Aspegren (Berg sans Nipple) à la batterie, Erik Minkkinen (Sister Iodine) sur quelques guitares, Frédéric Simon à la trompette et au tuba et Helena Nogerra chantant une reprise de Veloso avec Don, l’album a été enregistré dans les fameux studios Microbe.
Ouvrant sur la reprise de Gainsbourg, Ces petits riens, en forme de déclaration d’intention, « Ce sont ces petits riens qui me venaient de vous / Les voulez-vous ? Tenez ! / Que voulez-vous ? », Don Nino rappelle la dimension forcément subjective (comme une discothèque faisant le portrait de son propriétaire) et anecdotique (une chanson, c’est un air, c’est volatil comme un souvenir, c’est un petit rien, mais qui fait tout) de son entreprise. Le reste est moins modeste, s’attaquant à quelques monstres sacrés : Syd Barrett d’abord, influence majeure de Nicolas Laureau pour les dérives angoissées et les alambics de guitares, dont le Dominoes, plus psychotique et autiste que jamais, restitue consciencieusement les gimmicks des psychédéliques 60’s : une guitare saturée dans un coin soulignant les accords ponctuellement, quelques percussions dans l’écho, un piano tapoté, tout fait madeleine et transporte dans un autre espace-temps, celui de Piper at the gates of dawn, plus même que des albums solo de Barrett. D’autres fois, c’est la réappropriation qui détourne la chanson de ses objectifs d’origine : Porque te vas de Jeannette, ne restitue pas les coups de Charley décisifs de son original, et, avec ses guitares en trémolo saturées et ses breaks de batterie, devient une litanie New-Yorkaise, quasi no-wave, un peu Arto Lindsay, un peu Bad Seeds. Généralement, c’est la joliesse des arrangements (palette de couleurs) et la clarté de la production (gestion délicate des graves et des hautes) qui séduit l’oreille, à défaut de toujours convaincre le cœur. Kiss de Prince ou Like a virgin de Madonna se trouvent ainsi épurés en leurs oripeaux basiques (rythmiques ou mélodiques), constellés de petits détails productifs : une guitare qui grésille comme une pure abstraction, rehaussée dans la compression, des claviers réchauffant les fréquences, mais le tout chanté de manière un brin désincarnée. Et c’est le seul (petit) reproche qu’on fera à ce disque : son parti-pris esthète un peu trop tourné vers l’arrangement se fait parfois au détriments de l’interprétation, un peu passive, voire timide (intimidée ? – c’est ce que l’on ressent face à un sommet comme le There is a war de Leonard Cohen). Et on se demande, Don Nino est-il capable de groover ?
Album plus conceptuel qu’émotionnel donc, Mentors, menteurs ! reprend un répertoire pop mais en le destituant quelque peu de son évidence (de sa dimension pop, justement), complexifiant le mix, réajustant l’agenda en fonction des oreilles contemporaines, pour un plaisir de l’écoute certes, mais parfois édulcoré de son énergie primordiale. Rien de rédhibitoire cependant : la réminiscence fonctionne à plein et le cerveau se transforme en un étrange juke-box, le temps des 12 titres, une expérience intimiste de relecture, un blind test singulier entre tous, qui dessine le visage d’un véritable auteur. Et en France, c’est bien connu, on a la politique des auteurs.