C’est étonnant comme Nicolas Laureau ressemble au pseudonyme qu’il s’est choisi : leader de fratries indie depuis les années 90, des élans hardcore et post-punk de son premier groupe Prohibition, fondé avec son frère Fabrice, du label qu’ils ont monté là-dessus, Prohibited Records (qui, entre autres faits de gloire, a sorti le premier album d’Herman Dune), jusqu’au trio Nlf3, qui explore depuis plus de dix ans des territoires exotiques (krautrock, afro-beat, post-punk), à l’orée d’un bois hanté par Animal Collective ou Battles, Nicolas est presque déjà un vétéran de la scène indie-rock française. Et pourtant, nulle ride au coin de ses yeux, le Don de la famille est aussi un Nino, un gamin, quand il entame parallèlement une carrière solo, en 2004, avec On the bright scale, chantant « I look younger than I do », le long de folk-songs bercées aux Nick Drake et Syd Barrett, agrémentées des couleurs tropicalistes de Veloso ou Zé, ou quand il rend un hommage juvénile autant qu’iconoclastes à ses pères devenus pairs, sur Mentors, menteurs (2007), les mêmes que ci-dessus, et d’autres (Jeannette, Madonna, Prince, détourés de leurs évidences pop).
Nouveau bain de jouvence pour le Don, In the backyard of your mind, confié aux mains expertes du label Infiné, joue dans une cour d’autres grands : les Pink Floyd au grand complet de Piper at the gates of dawn (sur Cuckoo) , le Vincent Gallo de When’ (sur Mellow to blossom), John Fahey, David Grubbs ou le Thurston Moore récemment viré troubadour folk (sur Myself by heart), mais surtout, pour la première fois sans doute, les Beatles de 1966-67, sur Everything collapsed all right (dont les lignes de voix et de basse rappellent immanquablement Tomorrow never knows). L’atmosphère générale est donc puissamment psychédélique (échos, réverbs, boucles, filtres sur la voix), parfois dissonante (sur la deuxième partie de l’album en particulier, comme s’il avait été pensé pour être un vinyle, avec ses deux ambiances opposées), mais Don Nino s’autorise aussi des accords majeurs et des virées lumineuses assez inédites (le refrain de On the line, quasi lyrique). Réalisé avec le romancier et musicien Luke Sutherland (Long Fin Killie, Mogwai, Bows, qui fait ici glisser son archet de manière élégamment impressionniste) et incluant les collaborations des autres membres de NLF3, et de Lori Chun Berg (de Berg Sans Nipple, Herman Dune), In the backyard of your mind devrait plaire aux amateurs de Grizzli Bear ou de Connan Mockasin, qui partagent avec Don Nino la délicatesse vocale et le goût des entre-deux, entre le rêve et l’état de veille, le clair-obscur.
La biographie officielle fournie par le label suggère d’ailleurs : « Le royaume de l’artiste, tel que le rêvait Fellini, ce sont les limbes, cette frontière entre le monde du tangible et de l’intangible. En autodidacte érudit, Don Nino donne ainsi corps à sa vision du monde, et devient un abolisseur de frontières… tangibles ou intangibles, donc. ». Les habitants des limbes, théologiquement, ce sont ceux qui n’ont pas connus Dieu, les enfants morts avant le baptême, par exemple. Et selon Saint Augustin, les âmes de ces enfants jouissent d’un bonheur naturel : « toute douleur est exclue de leur peine ». Leur ignorance fonde leur innocence. Cette définition théologique des limbes m’a rappelé l’éternelle jeunesse de Nicolas, son impassibilité et sa constance (telles que ces qualités me sont apparues en le côtoyant). Sans entrer dans des considérations religieuses (on peut aussi être athée), prenons le meilleur de cette métaphore : sa musique a aussi cette forme d’innocence tempérée, à la fois ancienne (érudite, expérimentée, grave, parfois mélancolique) et enfantine (curieuse, expérimentant, joueuse et joyeuse), aussi habitée qu’elle peut parfois être comme absente à elle-même. A la fois père et fils, vieux sage et jeune fou, funambule entre lumière et obscurité, c’est Don Nino.