On avait noté le patronyme Dominique Leone en découvrant récemment son sensationnel Conversational sur le LateNightTales de Lindstrom, mélodie amoureuse et ascensionnelle au Wurlitzer pluggé, sur coulis de cordes panées, la voix flottant dans un halo de reverb’ hanté. On y revient alors que sort le premier album (éponyme) de cet américain nerd (on l’a surpris parlant d’obscurités electropop nippones des années 80 sur des forums musicaux – il pige aussi régulièrement pour Pitchfork) de San Francisco, véritable saut dans l’hyperespace de nos sensations. La musique de Leone semble ne pas vouloir choisir entre pop progressive (ELO, Alf Emil Eik, Todd Rundgren) et électronique obsessive (GRMTools, Moogs en folie, bass-slaps italo-disco), et s’inscrit dans la grande tradition des inventeurs de mélodies fantastiques qui ont mis toute la technologie du studio à leur service : Beatles, XTC, ABBA, Beach Boys… D’ailleurs, Leone partage avec le concepteur de Smile une voix en falsetto, ambiguë, féminine et légèrement freak (qu’il camoufle sous des tonnes de couches de sound-process), et le goût des structures en étagères, de la musique pop compliquée. « Ma musique contient un grand nombre de changements, de rapides mouvements d’une section à l’autre, mais je ne pense pas en termes de complexité ou non. Mes amis vous diraient que je suis ainsi: j’ai tendance à sauter rapidement d’une chose à l’autre, en parlant, en réfléchissant, et ma musique doit refléter ça. J’aime écouter de la musique « complexe », des harmonies de piano de Ravel aux percussions de Villalobos, jusqu’à la façon dont Andy Partridge met le foutoir dans ses chansons. Mais ça pourrait aussi être voir les séquences formées par les feuilles dans un arbre, ou observer combien de personnes différentes ont la même raquette Lacrosse pour lancer leurs balles à leurs chiens dans les parcs. C’est comme regarder l’organisation d’une activité chaotique ».
De fait, certains morceaux de Leone, Brian Wilson du XXIe siècle, sont de véritables expériences sensorielles, phénoménologiques, dont nous serions les sujets, ou les cobayes, éprouvant nos limites de l’espace et du temps. The Return nous fait ainsi ressentir physiquement un véritable flashback, fast-reward porteur de malaise autant que d’anamnèses, tandis qu’avec Nous tombons dans elle, nous semblons chuter sans fin dans une matrice sans fond, un corps de femme éternelle, déesse placentaire qui nous entoure invisible et dans l’obscurité infinie de laquelle nous sombrerions corps et âme. Expérience à la fois aurale, physique, et intellectuelle, métaphysique. Rien de moins. « The Return a cette progression d’accords que je répète à plusieurs reprises, et quand je l’ai fait, je pensais en particulier à cette forme d’auto-assistance que nous nous apportons nous-mêmes pendant les périodes défavorables. Comme si je réitérais sans cesse ces mots pour me rassurer moi-même à une époque particulièrement mouvementée et intense émotionnellement. Nous tombons dans elle correspond à une sorte d’évasion, je suppose, mais plus que cela, il s’agit de transformer un morceau de musique en montagne russe ». Dominique Leone apparaît ainsi comme un musicien pop et formaliste, impression rehaussée par l’utilisation de la compression et de la saturation, celle-ci à la limite du bruit blanc, qui vient salir nos oreilles et troubler l’écoute des mélodies tapies derrière elle, presque comme un commentaire sur notre auralité contemporaine. « Je ne suis pas sûr d’être le genre de musicien qui produirait, au moins consciemment, un tel discours sur la musique. La compression, en particulier lorsqu’on essaie de faire rentrer beaucoup de données sur l’étroite bande passante d’un MP3, est certainement un problème « moderne ». Je n’ai jamais vraiment écouté de la musique sur autre chose qu’un radio-réveil ou un vieux tourne-disque. La première fois que j’ai eu un lecteur de cassettes, au collège, j’ai été presque déçu par la clarté de la musique ! Je peux donc dire que je n’ai jamais été vraiment audiophile, et ça a du modifier ma manière d’écouter les choses. Tant que je peux entendre la forme de base de la chanson, la mélodie, l’harmonie, le rythme – la « musique » – je pense obtenir l’essentiel de celui-ci ».