Il y a au moins deux façons d’appréhender le sixième album de Dominique A, revenant après le coffret Le Détour, cette pierre tombée à point pour signaler ce qu’il est devenu depuis La Fossette : une présence à la mesure de sa prétention, intransigeante et germinatrice.
Première approche : considérer ce disque comme une expérience, tentative d’épuisement de la chanson française. Dominique A a abandonné ses chansons au collectif Gekko (Jean Lamoot, Jean-Louis Solans, Arnaud Devos), qui réalisa L’Imprudence de Bashung, et à cause de cet album-étalon, ouvertement revendiqué comme point de fascination. Plutôt que de marcher sur ces traces fraîches, Tout sera comme avant fait montre d’un dialogue à bâtons vraiment rompus avec les « anciens » : Gainsbourg (Pendant que les enfants jouent, L’Inuktitut), Ferré (Revenir au monde, qui fait aussi irrésistiblement songer à Emmenez-moi d’Aznavour), Brel (Bowling, Où sont les lions ?) et même… Jonasz (La Retraite à Miami). Même si l’humour, la distance sont de mise, il s’agit davantage d’une conversation que d’une conversion, même parodique, aux grands modèles. Le travail de mise en son (au sens de mise en scène) est impressionnant et ludique, on peut se laisser prendre au jeu de références superficiel.
Seconde approche : au-delà de ce costume fait de faux-semblants, force est de constater que certaines de ces nouvelles chansons grattent la peau sans retenue, sans pitié. Chansons qui disent « J’aime ce monde même s’il me broie », telle Tout sera comme avant, coup de poing réminiscence du temps d’avant le désenchantement. Qui d’autre témoigne, décrit à froid, dans ce lyrisme cru qui lui est propre, le désarroi profond, la solitude contemporaine, la folie qui sourd derrière le quotidien urbain, le tant bien que mal résigné qui officie comme ligne de conduite ? L’écriture de Dominique A continue de mûrir, plus fluide, plus intense, plus humble, de sorte que les échappées lumineuses, même fugaces, qui trouent ces procès-verbaux, n’en sont que plus belles.
Ce nouvel album, exercice de styles trompeur, cache un vade-mecum. Un garde-fou qui redonne du courage, pour continuer, vaille que vaille, coûte que coûte, à exister. Une oeuvre nourrie du désespoir retourné contre lui-même, ce qui, dans le fond, est une des fonctions de l’art.