C’est bizarre. Sur la pochette de notre exemplaire d’Auguri, il y a un défaut d’impression qui dessine comme une petite larme bleue, juste sous l’oeil de Dominique A. Une fois remarquée la larme, le beau portrait frontal et mi-souriant du chanteur glabre prend des airs de Pierrot lunaire, et les « meilleurs vœux » qu’il nous adresse de si franche manière semblent devenir des adieux…
Amoureux de l’A depuis le début (l’alpha), je mésinterpréte sans doute la larme à l’oeil accidentelle à la singulière façon des fans qui, dans le miroir narcissique de la production, voient tout dans l’objet de leur fanatisme comme à eux directement adressé. Mais aussi, depuis La Fossette, ouverture lumineuse sur le terrain de nos premiers émois méta-musicaux , jusqu’à Remué, sombre revers de fortune -disque invendu et incompris- mais magnifique reflet en négatif de son alter ego au creux de la joue, jamais disque de l’A n’avait semblé si proche de l’adieu et de la fin (l’omega). Non que la source se soit tarie, mais la mer a tout emporté.
Dire cela, c’est peut-être ma triste manière à moi de tuer ce père dominical (quand j’écoutais Le Courage des oiseaux les dimanche de pluie), mais depuis la source fluette La Fossette, Dominique A aura été rivière trébuchante (Si je connais Harry), fleuve parisien (La Mémoire neuve), impétueux delta (Remué), pour finir dilué dans la mer sans contrariété, ce grand Océan Auguri, trop plat, trop calme, trop serein. Pas d’accalmie, mais l’A calmé, évacué, dans le grand plein où le petit un devient partie du grand tout. Un peu comme dans Dead man, cette belle dérive de Jim Jarmusch.
C’est peut-être là le sort commun du chanteur sur le dos duquel on aura trop longtemps fait Le Commerce de l’eau, et qui n’en tirera rien, rien « que le goût de la peau ». Dans Auguri, le chanteur (et ses amis) boit et crache aussi, et la pluie tombe sur les dos, l’orgasme (« là où finit l’escalier ») est « mouillé de bruine », « Le sel a tout rouillé », « Dans les rigoles chargées d’eau de cuisine, ça glissait », et déjà, « La mer, c’était profond ». La mer conjuguée au passé, comme si tout était plié il y a longtemps déjà. Alors, c’est vrai, les « meilleurs vœux » résonnent comme des adieux, et à les écouter, on prédit à Dominique A un avenir de marin, de lever l’ancre, de parcourir les lettres de l’Océan Atlantique, sous un soleil d’acier, vers « les murs colorés » de Burano, retenant de son origine portuaire que les marins font de bons amants, mais de mauvais maris, avant de fouler du pied nu « Les terres brunes » et retrouver « Les Enfants du Pirée ». On lui prédit un avenir solaire, un futur rimbaldien, dans des pays lointains, où les « yeux brûlent ». Et un beau jour, la peau tannée, ridé de soleil, le cuir endurci, « Criblés de balles / Nous reviendrons. »
Depuis longtemps, Dominique A rodait sur les rives du grand large, jetant à l’horizon lointain des regards de loup échaudé. Reste à réaliser cette vie rêvée d’un ange, pour un voyage forcément symbolique et icarien. Dans Théorème de Pier Paolo Pasolini, une sainte voit ses larmes se transformer en source. La larme à l’oeil de l’A sera-t-elle la première eau d’une source à sanctifier ? Fan un jour, fan toujours.