A l’ombre de leurs coreligionnaires québécois les plus emblématiques (Godspeed, A Silver Mt. Zion), les Do Make Say Think sortent & yet & yet, leur troisième album en quatre ans. Si la musique du groupe n’a jamais déclenché de séisme aussi violent que le nonet montréalais, c’est qu’on n’y décèle aucun usage systématique de longues montées compulsives, d’explosions flamboyantes et d’acmés fiévreuses, aucune mystique pré-apocalyptique sur fond de déluge sonique venant alimenter une stratégie astucieuse de soustraction aux médias. Mais plutôt un savant dosage de rock instrumental éthéré et de rythmiques métronomiques, de motifs de basse labyrinthiques et de bidouillages stereolabesques au Moog, de polyphonies de cuivres radieux et de mélodies de guitare en spirale, le tout servi par un quintet je-m’en-foutiste. Bref, rien de spectaculaire mais rien de déplaisant non plus.
Avec & yet & yet, les Do Makes produisent un album qui a tout pour plaire. Des mélodies entêtantes à la pelle (Classic noodlanding, White light of, Reitschule), des breaks d’enfer (End of music, Anything for now), des clins d’oeil (au Millions now living will never die de Tortoise, au Hammock style de Ganger), une gestion du temps intelligente sur des canevas complexes, une production impressionnante truffée de détails sonores que l’on repère au bout de plusieurs écoutes. En somme, de la très belle mécanique.
Trop belle peut-être. Car sans trop de surprise, Do Make Say Think ne fédérera jamais autant de monde sous la bannière de son rock teinté de dub qu’au moment où il étouffe la moindre parcelle de spontanéité dans sa musique. A aucun moment & yet & yet ne cède à l’indétermination : il mise entièrement sur l’efficacité, sans jamais donner à voir ou même sentir de doutes. Comme si en se recentrant, pour éviter la dispersion (qui faisait le charme des deux premiers albums), leur musique se raidissait et ce faisant, s’anesthésiait. Le parcours musical des Do Makes rappelle en cela les mutations successives des Ganger : de Fore à Hammock style jusqu’à Canopy, leur musique est montée en puissance, s’est contractée sur elle-même en même temps qu’elle a lissé son propos et s’est contaminée de tics. Paradoxe d’une musique post-rockeuse prétendument libérée des formats et des contingences de l’industrie musicale qui n’explore pourtant que trop peu les ressources de l’improvisation et les chemins de l’inventivité (comme l’avait brillamment réalisé Set Fire To Flames) et s’enferme dans une vision mécaniciste, réinventant des contraintes de structures, s’enfermant dans de nouveaux formats et codes. Et lorsque le quintet se produit sur scène, le voile de soupçon se déchire. Les Do Makes ne se distinguent plus guère de l’artillerie lourde de Constellation : avalanche de son, morceaux réglés au quart de tour, concert fleuve.
Sans qu’il soit question de remettre en cause les nobles principes d’indépendance qui ont bâti le label, il existe bien une « identité Constellation », qui engendre des attentes… qui finissent par engendrer des disques, selon une logique de système. Logique marchande face à laquelle des artistes bien intentionnés, mais complètement myopes, du fait qu’ils semblent plus enclins à faire la critique du « système » que de leur propre musique (pourtant partie prenante de celui-ci), paraissent bien démunis. Dit brutalement, ce à quoi l’on est en train d’assister, c’est la dilution, selon une dynamique de nature capitaliste, de l’identité d’un label cohérent, intègre, en une simple formule marketée. Qui a dit que le marché finit toujours par avoir le dernier mot ?