Les sirènes du syndrome all-star auront finalement eu raison de Dj Krush. A force de mettre le paquet sur le name-dropping en forme de featurings systématisés, le musicien japonais a perdu en un seul album toute une identité lentement forgée au fil des années et des rencontres. De ses débuts solo en pape underground de l’abstract hip-hop à ses rencontres plus jazzy avec le trompettiste Toshinori Kondo, le DJ nippon le plus exporté de sa génération a toujours su garder une cohérence dans son discours musical. Hélas, Zen, nouvel opus très attendu après la sortie sporadique de remixes plus ou moins réussis marque un sévère retour en arrière. Krush se la joue social-traître et ça coince : trop de voix posées sur des beats devenus machiniques, une dispersion qui attaque la musique à son cœur même.
Company Flow, Tnude Ayanyemi, Zap Mama, Black Thought, phonosycographDISK, Kazufumi Kodama, N’Dea Davenport, Boss the Mc, Ahmir Thompson, Sunja Lee, Kukoo Da Baga Bonez sont autant d’anonymes plus ou moins stylés qui viennent placer leur flow sur le fond musical de Krush. Tout ça aurait pu passer pour une compilation moyenne produite par Sony si ce n’est qu’un peu partout traîne le nom de DJ Krush et qu’on emballe ce produit illico presto sous une pochette bâclée : un kanji pour faire couleur locale, un fond de dégueulis torché sous Photoshop (ah l’effet « water ») et une typo vaguement techno, pixellisation oblige… Rajoutez une touche rock-star (les lyrics à l’intérieur du livret pour chanter avec son idole préférée) et vous aurez vite compris qu’on ne parle ici ni de musique ni de concept mais bien d’entertainment, comme stipulé aux quatre coins des logos. Dommage, car le passage à la vitesse supérieure de Dj Krush aurait mérité un plus bel écrin.
Si Kakusei avait notamment démontré la capacité du musicien à dépasser l’aridité antisociale de ses premiers pas dans le monde de l’abstract hip-hop, Zen ne fait que vainement rassembler les capacités du musicien (trip-hop, hip-hop, electronica, jazz électronique, latin touch, etc.) sans dégager une quelconque identité. Noyé sous la masse d’invités, dilué dans le monde trop frigide d’un gros studio de production, le « son Krush » va à vau-l’eau. D’autant plus un gâchis qu’on sent aux détours des morceaux quelques bonnes idées : le bon rap de Company Flow sur Vision of art, proche de Steve Coleman ou du Miles de la période Doo Bop, ainsi qu’une electro-intro de bonne facture. Reste que sur la distance, les compositions de Krush s’essoufflent plus vite qu’un single et tombent dans une platitude confondante.