Découlant de la vague electronica des années 90, on voit se dessiner de plus en plus nettement les contours d’une famille de gentils agités du bocal, habitants excentriques d’une planète aux couleurs pop, conviant à travers leur folklore musical à partager leurs us et coutumes d’idiots savants. Mouse On Mars en seraient les plus illustres éclaireurs, suivis d’une cohorte de nerds malicieux batifolant dans des paysages martiens : DAT Politics, Felik Kubin, Max Tundra, Schlammpeitziger, Teamtendo… sans oublier les frangins de Scratch Pet Land, dont on avait suivi les pérégrinations à l’occasion des deux albums (l’un chez Source, l’autre chez Sonig) précédant l’impromptu Fan Club Orchestra.
Avec le temps, les rixes fraternelles de Scratch Pet Land ont pris le dessus (Bataille et Fontaine, à la rescousse!), et l’un des deux frères Baudoux nous revient en solitaire sous l’appellation DJ Elephant Power. Non, il ne s’agit pas d’un toaster jamaïcain féru de dancehall, mais d’un musicien bruxellois à l’univers très personnel, privilégiant les percussions domestiques et les bidouillages analogiques aux avalanches de beats déconstruits sur nappes digitales. Car du DJ, Nicolas Baudoux n’a rien d’orthodoxe. Bien que scratcher invétéré, cette dénomination est davantage un pied-de-nez à la virtuosité technique promulguée par les mastodontes du dancefloor qu’un quelconque souci de crédibilité. Pas grand-chose non plus d’elephantesque dans ces miniatures artisanales, si ce n’est peut-être les vertus symboliques issues de l’hindouisme (mais ce n’est qu’une hypothèse). Quant au Power invoqué, aucun risque de choc électrique, à moins de se coller une pile sur la langue tout au long de l’écoute.
De l’afrobeat lo-fi d’Electric rainbow, on passe à une mélopée indienne ponctuée de scratchs avant de se faire marabouter par un Maître-fou (Mc Jeanbaufou). On s’assoupit brièvement le temps d’une comptine synthétique entérinant l’idée que des Residents aux Teletubbies, il n’y a qu un pas. Les grillons ouvrent le bal sur la deuxième fournée, Thunderous capture l’âme de Fela avec trois bouts de ficelle, les scratchs bégayent ensuite sur des bribes de mélodies avortées, des gloussements de poules nous rappellent à la ferme. On dérive vers une choucroute lo-fi, ça part un peu en couille avec l’harmonica qui s’y colle, mais le final nous réjouit à nouveau, avec son mini-folklore imaginaire qu’on jurerait capté en Centrafrique. L’antidote idéal à une indigestion de gloubi-boulga electroclash. On est ici dans une bulle intemporelle, entre le Plux Quba fondateur de Nuno Canavarro, l’electronica pluri-ethnique d’Un Caddie Renversé Dans l’Herbe et les haïkus de Pascal Comelade. Autant de vignettes poétiques à la nonchalance contagieuse, autant de voyages immobiles. Et si Jean Dubuffet était encore vivant, portait une afro et s’était adonné à la musique électronique, armé d’un Moog, d’une platine et d’un quatre pistes, sans doute aurait-il accouché d’une Musique Brute assez similaire. Avec cependant moins de glamour que cette Belgium touch dont on ne vantera jamais assez les mérites (dans la musique aussi bien que dans la mode et la danse, soit dit en passant).
Un doux délire qui restera sans doute une énigme pour les sémiologues du futur. Dans cette région reculée du Petland, les éléphants volent en famille, les poules ont des dents en or, les écureuils se gavent de psilos, les araignées ne descendent jamais du plafond et l’optimisme est toujours de rigueur. On vous encourage à aller y faire du trekking, c’est trop peace !