Un gros dessin en forme de zéro pourrait remplacer ces lignes. Un gros 0 en forme de larme tant on aime Martha Argerich. Pour être honnête, ça fait déjà pas mal de temps que le côté « virtuose classique qui s’encanaille » de Kremer nous énerve. Il joue de plus en plus faux, superficiellement, et un peu n’importe quoi (quelques créations néo-kitsch de vieilles copines du conservatoire de Riga). Ne parlons pas de sa tentative d’approcher l’univers du sublime Astor Piazzolla. Kremer a le tango bien rigide… Glissons vite fait sur le côté bohémien chic de Misha Maiski. Crinière des Gipsy Kings, jupe-culotte d’Issey Miyake, barbe d’Henri III (ou de Daniel Gérard), le violoncelliste est précisément hors style, inexistant, caché derrière quelques basses improbables du piano. Que fait un tel homme sur un label aussi prestigieux que DG ?
Reste le cas Martha Argerich, dont on ne peut se moquer. Cette femme a trop fait pour la musique depuis trente ans. Tant de générosité envers les autres musiciens (qui n’ont pas eu la chance de faire sa carrière), tant d’éclairs de génie (son Gaspard de la nuit est une fulgurance qui fige dans le temps toutes les autres versions) nous interdisent les railleries.
Cependant, son caractère tout à fait imprévisible, son impulsivité, sa longue maladie peuvent laisser craindre le pire, voire plus encore… Où chercher les preuves de l’escroquerie ? Dans l’organisation du concert fabriqué de toutes pièces ? Dans l’exploitation de l’enregistrement « direct-live » bidouillé jusqu’à quatre heures du mat’ (lire la pochette très « fashion ») ?
Faut-il rappeler que jouer le deuxième trio de Chostakovitch, avec son scherzo sans répit, son largo dépouillé et implacable, la mélodie géniale du final, demande un travail considérable. Toutes les formations de qualité le démontrent : pour bien jouer ensemble, il faut bosser, pendant des années, construire une interprétation collective… la musique de chambre, c’est une école d’humilité ; pas le rendez vous des stars entre deux jets. On aurait pu penser que ces trois musiciens n’avaient pas besoin pour payer leurs impôts de faire un cacheton de plus. Dépenser une telle somme (140 F) pour s’offrir ce disque-là montre que vous aussi vous êtes trop riche, ou alors bien naïf.