A voir les photos actuelles de Depeche Mode, on les croirait revenus 10 ans en arrière : David Gahan, Andrew Fletcher et Martin Gore ont la même coupe de cheveux qu’à l’époque de Music for the masses. Et si on ne constatait l’absence définitive d’Alan Wilder et le visage marqué de Dave Gahan, tout porterait à croire que le groupe survivant des 80’s a refoulé, fait l’impasse sur des années 90 un peu difficiles (héroïne, moins de succès, départ d’un des membres du groupe). Depeche Mode recyclerait-il pour autant ses valeurs passées pour surfer sur la nostalgie 80’s qui bat son plein ces jours-ci (Ladytron, Daft Punk, etc.) ? Que nenni, le groupe continue sa modernisation, plus proche (dans son désir, moins dans sa réalisation) d’une entreprise comme Radiohead que de Zoot Woman, recrutant Mark Bell de LFO à la production pour un album contrasté de pop songs sombres et amoureuses (4 titres sur 12 contiennent le mot « love »), teintées d’une electronica convenue mais aux effets perturbateurs bienvenus dans le monde si bien rodé de la pop mainstream.
On reconnaîtra à Depeche Mode (et Mark Bell) un talent certain pour les arrangements, dont cet album est bourré jusqu’à la gueule. On regrettera en revanche le peu d’inventivité des mélodies, toutes un peu laborieuses, aux effets téléphonés (on progresse pendant le couplet, on se calme sur le pont, on met la sauce sur le refrain), le tout rendant l’album bien timide et conventionnel, pauvre en surprises (ou alors dans les détails) et riche en graisses superflues.
Dream on, premier single, se joue sur des arpèges de guitare, de petits bruitages electronica (bleeps, éviers qu’on débouche) et un slogan peu inspiré « Can you feel a little love ? ». Shine lance une grosse basse profonde qui se transforme en bass-line electro sur le refrain, agrémentée de nappes synthétiques et de chœurs réminiscents de Some great reward (« It’s difficult not to shine for me »). Sur The Sweetest condition, la voix grave et ample de Gahan survole des guitares slide inversées en un lyrisme batcave teinté de beats lourds. Le travail sur le son est intéressant (saturations, pitchs) et la mélodie pas trop mal. When the body speak commence sur un battement de cœur qui se transforme en basse métronomique, ponctuant un slow cinématographique, nappé de couches de violons synthétiques et d’une petite guitare à la Sterling Morisson. L’influence de Radiohead se fait sentir, notamment sur un chant au grain un peu douloureux. Dead of night commence sur une montée de guitare saturée, rappelant un peu Personal Jesus, jouant sur les contrastes entre surdité et intensité, basses et saturations, explosions et accalmies, Dave Gahan cabotinant en crooner polyvalent et sexy. Morceau noir baroque. Freelove est une jolie chanson d’amour perturbée de digressions sonores électroniques et psychédéliques. On regrettera une certaine propension à mettre plusieurs couches d’arrangements quand une ou deux suffiraient. La peur du vide ? Comatose est un morceau rétro (bleeps 90’s faisant signe vers Love is the message de LFO) sur le sommeil (« Here I believe, dreams never deceive »). I feel loved commence carrément sur une rythmique hard-house, bruitée de percussions concassées. Le refrain simplissime est bien dans la veine house sus-citée : « I feel loved ». Un peu plus et DM faisait de la disco-Moroder. Tube dancefloor de la Locomotive cet été. Breathe : Dave Gahan croone encore sur ce morceau lent et répétitif, très démonstratif dans ses intonations, glissant sur des guitares slide et des synthés ambient. (« I need to hear that you love me. ») I am you : son beat electro en diable, sa basse dub, ses bleeps. La voix filtrée dispense de très naïfs et un peu démagogiques lyrics (« I am you and you are me »), perpétuant la tradition de textes peu signifiants, à interprétations variables mais toujours consensuelles. Le lyrisme pompier des arrangements de simili-cordes tombe à plat, et ne dépareille pas les habitudes de démesure de Depeche Mode, ce côté grandiloquent toujours un peu ridicule. Goodnight lovers a comme un petit côté Etienne Daho. Ses chœurs gospélisants et le chant simple et apaisé achèvent en douceur un album à la fois classique et moderne, sans grande prise de risques, mais pas inintéressant non plus. A noter : deux courts instrumentaux atmosphériques calment le jeu (Lovetheme et Easy tiger) au milieu de cet album dense, mais peu intense.
Au final, plus d’ennui que d’enthousiasme : le groupe semble refuser de vieillir et surjoue le romantisme adolescent, sans qu’on y croie une seconde, à moins d’être fan (ce qu’on a pourtant été). La crédibilité electro-2001 apportée par Mark Bell ne sauve pas de la déroute une musique en pilotage automatique, dont ce nouvel album surchargé tente de camoufler les défaillances. Le Nouveau Depeche Mode, c’est un peu comme le Nouveau Parti communiste français, on ne se fait plus trop d’illusion sur son caractère de nouveauté…