Plasticiens renommés issus du vivier arty new yorkais, Delia Gonzales et Gavin R. Russom trimbalent depuis huit ans leurs breloques néo-hippies à travers le monde, de performances dyonisiaques en numéros de cabaret ésotériques, sous des appellations diverses: la compagnie de danse Fancy Pantz pour madame, les tours de magie grand-guignolesque de Mystic Satin pour monsieur, la chorale glitter-disco du Black Leotard Front a l’unisson, sans oublier les métalleux Fight Evil with Evil ou encore le collectif M.I.M.E. Exposé dans de prestigieuses galeries internationales, le couple réalise également des installations, truffées de miroirs-facettes et de totems cubiques en formica laqué, agrémentés parfois d’une bande-son hypnotique ou de dessins proches des tests de Rorshach. Ces autels sonores dévolus a d’énigmatiques rituels évoquent le minimalisme d’un Donald Judd transposé dans l’univers occulte d’Alejandro Jodorowski.
Indissociable du reste de leur travail, la musique n’est pour eux qu’un medium parmi d’autres pour dévoiler une cosmogonie soigneusement conceptualisée et dépouillée en dépit de l’esthétique baroque qui l’enrobe. Le titre, d’abord : The Days of Mars est emprunte au livre d’une dénommée Winifred Bryher, ecrivaine, archéologiste et réalisatrice de films qui fut la compagne de la poétesse Hilda Doolittle, intime de Joyce, Hemingway et Gertude Stein dans le Paris des années 20. Le livre relate sa vie quotidienne a Londres pendant la deuxième guerre mondiale. The Days of Mars se place donc sous les auspices du dieu de la guerre (Mars), du modernisme et de la décadence. La musique, ensuite. Ni guitare, ni basse, ni batterie, les quatres morceaux au long cours (autour de 12 minutes chacun) qui composent l’album ont été conçus uniquement avec un synthétiseur analogique bricolé par Gavin, instrument de choix pour déployer a quatre mains autant de drones incandescents que de ribambelles d’arpeggios ad nauseam, a faire passer Tubular bells pour du breakcore. A l’encontre du tout-numerique et du sound-design propret, Days of Mars regorge d’oscillations aux tonalites chaudes suspendues dans le temps, tout juste interrompues ici et là par une mélodie approximative jouée en temps réel, voire par un changement d’harmonique ou une alternance d’octave. Les structures sont d’une linéarite radicale, privilégiant les montées progressives et les drones tenus aux cassures inopinées. Une musique répétitive qui sous-tend une narration imaginaire, jusqu’a donner l’impression d’écouter la bande-son inédite d’un slasher italien des années 70. « Il s’agit pour nous d’un univers que l’on peut pénétrer et explorer », confirme Delia. « Lorsque nous jouons, la musique nous emporte dans une dimension où nous devenons extrêmement réceptifs et ouverts à toutes sortes d’inspirations et nous aimerions que nos auditeurs partagent la même sensation ». Adeptes de la méthode « premier jet », Delia et Gavin sont sans nul doute plus attachés aux effets hypnotiques induits par l’objet sonore qu’à la composition musicale en tant que telle. Des nébuleuses opiacées de Rise et 13 moons aux ritournelles sinistres de Relevee et Black spring (référence au Printemps noir d’Henry Miller?), chaque morceau est prétexte a d’interminables oscillations.
Au point ou l’on se croirait revenu a l’ère des premiers synthétiseurs modulaires, quand toute une vague d’artistes visionnaires découvraient les vertus de la transe en triturant claviers et potards a la bonne franquette. On pense a Terry Riley, Cluster, Popol Vuh, Ash Ra Tempel, Tangerine Dream, Klaus Schutze, Vangelis, Brian Eno et un zillion de futurologues barbus recalés a la Kosmische Star Academy. Les deux olibrius ont beau se défendre d’avoir voulu sonner délibérément « old school », leur musique ne lésine pas sur le kitsch et l’emphase théâtrale, réhabilitant une mystique de pacotille dérivée a la fois du cinéma bis, des rituels païens et des avant-gardes artistiques de cette fameuse décennie 1965-75. Il s’en dégage un onirisme un peu désuet, voire morbide, comme l’exhumation étrangement familière d’un monde a jamais révolu.