Deerhoof est un groupe inimitable, persuadé de faire de la musique pop. Avec éclectisme et folie, le groupe, en quête d’une certaine perfection musicale, fait en sorte que chaque son et chaque note soient les plus personnels possibles, au risque de n’être compris par quiconque. Greg Saunier (batterie et chant) définit la musique ainsi : « On peut l’écouter au casque, danser dessus, la passer en soirée, dans des manifestations politiques, pour simplement fêter le Nouvel An, pour réfléchir, la considérer comme un langage codé, elle peut servir à réunir les gens, avoir une fonction religieuse, pour l’expression personnelle, pour faire du sport… Notre musique combine tous ces éléments ». Le groupe tient en Satomi Matsuzaki une vocaliste unique (son passé professionnel dans la puériculture explique-t-il ses accents enfantins ?) et en John Dieterich et Ed Rodriguez (depuis l’arrivée de celui-ci dans le line-up en 2008) un duo de guitaristes hors-normes, qui oeuvraient jadis dans Colossamite et Gorge Trio.

 

 

Le groupe a enregistré La Isla Bonita dans le sous-sol d’Ed Rodriguez, en live, avec la voix de Satomi Matsuzaki au centre. En peu de prises et dans le respect des fondamentaux du DIY, Deerhoof signe un chef-d’œuvre. Seules les belles et bonnes choses font sourire avec sincérité et c’est bien ce que l’on fait tout en essayant d’accompagner les rythmes joyeusement dansants de « Paradise Girls », « Doom » ou « God 2 ». L’écoute de « Mirror Monster » nous laisse la bouche entrouverte : il s’est passé quelque chose d’irréel, Deerhoof vient en douceur et par surprise d’incruster définitivement dans notre mémoire musicale cent soixante secondes d’absolu. Après joies et surprises, comme le complètement punk « Exit Only », La Isla Bonita nous confronte à son autre sommet, « Black Pitch » : Deerhoof, pour la seconde fois en un même disque, réalise un morceau parfait, rythmé et aérien. Le disque se termine avec l’élégant « Oh Bummer », dans un exercice de style faisant penser à Blonde Redhead, en plus inspiré (encore) : Greg Saunier y joue de la basse, alors que Satomi Matsuzaki passe à la batterie. L’écriture d’Ed Rodriguez n’a rien à envier à celle de ses trois comparses.

Matsuzaki, que l’on peine à imaginer en chef d’orchestre de musiciens incroyables, ce qu’elle est pourtant, surprend son monde et dévoile tout son potentiel vocal : à ces traditionnels accents juvéniles et aigus vient s’ajouter un voile de maturité (« Black Pitch », « Big House Waltz » bien sûr, mais aussi sur « Mirror Monster » et « Tiny Bubbles »). Elle relève même le défi d’imposer une énergie inhabituelle et de crier sur « Exit Only ». Saunier place sa voix avec parcimonie et toujours avec une grande justesse. La folie rythmique qu’il impose à la batterie est une des bases du projet dont il est historiquement le fondateur, avec Rob Fisk.

Dieterich et Rodriguez, fabuleusement complémentaires, s’en donnent à cœur joie, se suivent, se séparent, se retrouvent, à l’unisson ou en décalage. Toutes les possibilités guitaristiques de bon goût sont abordées. La femme du second doit cependant endosser la responsabilité du titre de l’album. Oui, il s’agit bien d’une référence à Madonna.

 

 

Chaque membre de Deerhoof compose pour le groupe. Si le talent est humain, le génie est divin. Satomi Matsuzaki, John Dieterich, Ed Rodriguez et Greg Saunier ne sont donc pas des êtres humains. Deerhoof est un grand groupe. La Isla Bonita est un grand disque.