Vous connaissez ces histoires… Les groupes cultes. Tellement cultes qu’ils n’ont souvent pu vivre que d’expédients pendant une carrière à l’allure de météorite mais qui ont -belle consolation- créé moult vocations chez des musiciens qui, eux, ont su tirer les marrons du feu. De « leur » feu et à « leur » place. Alors, ça ne nourrit pas son homme mais ça fait une jolie notule, un jour ou l’autre, dans une encyclopédie du rock. Dead Moon est un groupe de cette envergure. Ou un groupe qui a eu ce « destin », pour être plus précis. Le trio de l’Oregon, beau trou du cul d’Amérique du Nord, compte dans son fidèle fan club des Pearl Jam, des Catpower et autres Mudhoney… A cette différence prêt que Dead Moon fête ses vingt années de parcours et que le groupe présente cette double compilation roborative (49 titres sur deux volumes raz-la-gueule !) non pas comme un disque-hommage (le leader, Fred Cole, s’est chargé lui-même d’assembler les pièces d’Echoes of the past à partir des treize albums et des innombrables singles du groupe), mais comme une simple étape rétrospective (« des échos du passé », littéralement) pendant que la vie suit son cours.
Comme tout le monde, j’avais oublié l’existence de Dead Moon et de son psyché-punk sans âge et sans artifice. Bien qu’ayant été souvent associé à la scène de Seattle (puisque Dead Moon est né à peu près en même temps que Sub Pop et avant l’explosion du grunge), le groupe n’est jamais monté dans le train des gagnants, traçant son sillon en pleine indépendance, certes, mais dans une indifférence presque totale. Jamais passé à la radio, pas repéré par un gros label, n’appartenant à aucune scène et payant son autarcie d’un quotidien sans doute assez chiche : le groupe publie ses disques sur son propre label, Tombstone records. Dead Moon n’aura évité les oubliettes qu’au prix de tournées incessantes et marathoniennes. Mais Fred Cole s’en fout sans doute, lui qui est dans la musique depuis le milieu des sixties sans jamais avoir quitté les rangs de l’underground : tout juste peut-il s’enorgueillir d’avoir un titre d’un de ses nombreux groupes qui figure sur la fameuse anthologie des Nuggets (You must be a witch par The Lollipop Shope, pour les curieux) et d’avoir sillonné les routes des USA aux côtés des Seeds, Love, Moby Grape et autres Doors (!).
Mais revenons au sujet du jour. Le moins que l’on puisse dire c’est que la ré-écoute de Dead Moon et de son rock’n’roll à base de power chord fiévreux force le respect : voilà un groupe qui, en vingt ans, n’a pas bougé d’un iota sur ses principes de départ. Composé initialement du couple Cole (Fred et Toody), tout juste épaulés d’un batteur métallique, Andrew Loomis, les Dead Moon ont gardé le même line-up mais surtout un son et un message inamovibles. La voix de Fred Cole se situe du côté des screamers du rock et frappe toujours la première, quelque part entre un Bon Scott (ACDC) zombifié et un Roky Erickson dans sa veine heavy. Musicalement, c’est lo-fi et en mono que cela se passe : la guitare, cradingue au possible, couvre presque toujours la basse de l’épouse et la batterie de l’ami fidèle. Bien que se situant dans une veine heavy-rock, pas de solo intempestif ici et pas une once de gras sous les cheveux filasses et l’habit noir. Dead Moon ne doit même pas épuiser les 4 pistes dont il dispose et ignore tout du sens que peut recouvrir le terme « production ». On n’entendra même pas les artifices de production relevant du minimum syndical chez le plus économe des groupes indie : cherchez l’ombre d’une réverb’ sur la voix ou d’un effet sur une guitare, vous ne la trouverez pas ! La légende veut que le matériel sur lequel ils éditent eux-mêmes leurs albums soit celui qui appartenait jadis aux Kingsmen, créateurs éternels du vénérable et vénéré Louie, Louie. Comme se plaisait à le claironner Lester Bangs sur les notes de pochette de son unique album : « Produced by nobody. Producers suck ». C’est du vintage mais pas le vintage de chez H&M qu’on nous sert ailleurs.
D’ailleurs, même si Echoes of the past respecte une chronologie quasi intégriste dans le tracklisting, on peut mettre quiconque au défit de dater les différents titres par époque : le concept même d’évolution est foulé au pied, le credo de Dead Moon, c’est la vérité toute nue mais une vérité monolithique, qui ne multiplie pas les angles de vue pour séduire. Même leur propos est ressassé jusqu’à épuisement : mort, magie noire, possession, etc. Pas la peine de se compliquer l’existence. Dernier couple du rock de sa génération qui soit encore en activité (ex-aequo avec Lux et Ivy des Cramps, mais qui semblent dans une confortable pré-retraite à côté d’eux), on souhaiterait à Fred et Toody Cole que ce geste de Sub Pop (une simple démarche de fan, à l’origine) leur amène une audience un peu élargie car, à l’heure où vous lisez ces lignes, nos presque sexagénaires sont engagés pour une sempiternelle tournée à bord d’un van crasseux à distiller soir après soir leur rock de démon primitif. On peut parier cependant sans grand risque que seule la mort empêchera un jour Dead Moon de sortir un nouvel album.