Deux photographies cachées à l’intérieur du livret de pochette : David Sanchez marchant, instrument à la main, de gauche à droite, et s’effaçant dans une aveuglante lumière. C’est, curieusement, l’impression que ne donne justement pas le saxophoniste portoricain, émergé de l’anonymat voici quelques années en même temps que deux ou trois autres jeunes souffleurs dont on a commodément -mais peu pertinemment- pris l’habitude de parler ensemble comme des nouveaux loups du jazz moderne (Joshua Redman et James Carter en tête, tous trois d’ailleurs soutenus par une major puissante) : s’il en est un que l’on ne peut de fait accuser de louvoyer (entre la construction d’un projet musical personnel et les impératifs du succès économique, notamment), c’est bien ce musicien décidé et fidèle qui, entouré ici de ses partenaires réguliers, poursuit et approfondit encore -après par exemple Melaza, son précédent album- un sillon métissé où se mêlent jazz post-bop, héritage latin soigneusement entretenu et ambitions urbaines on ne peut plus contemporaines.
Introduit par un Prince of darkness (Wayne Shorter) vraisemblablement programmatique, son Travesia étonne autant par son ambition que par l’originalité des moyens qu’il s’y donne, la formation rythmique (Edsel Gomez au piano, l’autrichien Hans Glawischnig à la contrebasse, Pernell Saturnino aux percussions, l’efficace et rigoureux Antonio Sanchez à la batterie) s’enrichissant du saxophone alto et des compositions (il en signe deux) de Miguel Zenon, lequel se livre avec le leader à une ébouriffante joute mélodique. D’un enracinement résolument portoricain, le groupe décolle ainsi vers des architectures et des climats complexes où perce l’influence des musiques urbaines et d’un jazz binaire musclé qu’ils intègrent avec subtilité et originalité. La richesse du résultat, qu’on aimerait voir en quelque sorte radicalisé tant la vision musicale du saxophoniste semble claire, laisse décidément augurer du meilleur.