Couleurs orientales et zébrures électriques dominent le dernier projet du vibrionnant guitariste David « Fuze » Fiuczynski, qui partage ici la vedette avec le violoncelliste Rufus Cappadocia : avec Kif, les deux musiciens new-yorkais plongent au cœur d’un brouet sonore tout droit venu du Maghreb et du Proche-Orient pour en ramener des compositions qu’ils dopent ensuite avec leurs ingrédients favoris. Résultat : un indescriptible mélange de rock débridé et de world exploratoire, une étrange et énergique concoction semblable à celle qu’auraient peut-être pondus George Clinton et Jimi Hendrix s’ils s’étaient mis à jouer de l’oud en plein Marrakech. Deux batteurs se relaient sur les dix morceaux de la galette : l’impeccable Gene Lake, que connaissent bien les inconditionnels du M-Base de Steve Coleman, et le percutant Tobias Ralph, lui-même rejoint par les percussions (djembe, congas, udu et compagnie) de Daniel Sadownick.
Le clarinettiste polysoufflant Matt Dariau vient prêter main-forte à l’équipe sur l’envoûtant Gaida, le multi-instrumentiste Matte Henderson les remplace tous pour un étonnant duo avec Fiuczynski, V’Smachte (tiré, nous précise-t-on dans la pochette, d’un traditionnel réarrangé, ce qui est le moins qu’on puisse dire). Subtilité des tons orientaux et hyperpuissance brute de la guitare électrique, énergie sèche et nerveuse des patterns funk et complexité tortueuse des percussions, Kif fait tourner la tête et s’impose comme l’un des projets les plus aboutis du guitariste. On pourra prolonger le plaisir avec Black cherry acid Lab, un disque « inspiré par la musique de George Russell » et où, dans des formats denses et ramassés (entre deux et six minutes), « Fuze » et ses partenaires (Lake, Ralph, et Adrian Harpham, batterie ; Patrice Blanchard, basse ; Mark Shim, saxophone) proposent un jazz-rock d’une pêche à réveiller un mort. On y retrouvera en outre les hurlements déjantés du chanteur Dean Bowman et la prosodie énervée du rappeur Ahmed Best. Assurément moins convaincant que Kif, ce disque fracassant (et au demeurant plus ancien, les plages ayant été enregistrées entre 1996 et 1998) se laissera écouter comme on boit une tequila. Joyeusement frappée.