Il est des musiques qui, de fait, transplantent l’âme d’un peuple dans le combat permanent contre un système destructeur, quel qu’il soit. A la Réunion, c’est le Maloya qui emporte cette charge avec lui. Aussi longtemps que le monde sera monde, les gens de l’ex-île Bourbon continueront certainement à jouer de cette musique, née de la déportation nègre. Danyel Waro, héraut d’une culture qui refuse la décomposition face aux attaques de la métropole anciennement coloniale, contribue plus qu’un autre à la reconnaissance de ce feeling militant sur les scènes du monde entier. Le maloya est plus qu’une musique : c’est à la fois un rythme, une philosophie et un souffle de vie.
Dans ses ateliers, situés sur les hauts de St-Paul, face à l’Ocean indien, il s’obstine avec bonheur et sincérité à composer des refrains guerriers contre l’exploitation, la déculturation, le racisme, le chômage ou la mémoire, il clame son refus. Il tisse des paroles rebelles qui disent à son fils Anowar de se méfier de la lâcheté des hommes. Des paroles de douceur infinie pour remercier Madeleine, cette vieille dame qui, dans les années 70, l’a aidé à supporter la prison en France après son refus du service militaire. Le son acoustique du tambour roulèr, du hochet à grains Kayamb, de l’arc musical bob, permet à l’artiste d’éviter le cliché réducteur d’une tradition passéiste qui s’accroche tant bien que mal au monde en devenir. Le maloya est une musique vivante qui milite contre l’oubli. Même sans passer au crible des nouvelles influences à la mode (machines et autres mélanges), même en restant rustique et acoustique (comme à l’époque des négriers), elle demeure digne et surprenante dans ses déhanchements ternaires.
Ecrit entre 78 et 94, enregistré en live à Berlin il y a trois ans, mixé cet été à Paris, Foutan fonnkér est le second album de Danyel Waro. Avant lui était sorti Batarsité, dont le propos se présentait comme un pied de nez au viol perpétré par les maîtres d’hier sur leurs esclaves : le métissage, figure apparente de ce viol aujourd’hui, peut être considéré comme une richesse, dans la mesure où l’on assume pleinement toute la bâtardise qu’il représente. Danyel Waro est blanc et blond. Son combat, servi par l’une des plus belles voix du grand Sud, est sans équivoque. Le maloya est d’abord une musique d’opprimés. La preuve par ces onze titres à l’humour tendre et lucide.