Daniel Johnston a beaucoup enregistré, ces dernières années. Malgré un état de santé plutôt erratique -Noël dernier a failli l’emporter- et sans doute grâce à un entourage portant à bout de bras le « poulain », on sent qu’il s’agit aujourd’hui de se donner juste la peine de passer un peu de temps avec le « genius of love », comme il a été surnommé, pour en tirer de quoi faire un album. Daniel Johnston nous l’avait lui-même confié au cours d’une interview, en 2003, il réalise les bases des morceaux et les laisse ensuite entre les mains de celui qui est en charge de l’album du jour : « Je travaille avec beaucoup de personnes et, s’ils s’occupent de la musique additionnelle, ils le font seuls et j’aime ce qu’ils ont fait. Tous ! ».
A l’écoute des différentes productions, on peut pour le moins relativiser l’enthousiasme de Daniel Johnston : en effet, même si c’est le même interprète et compositeur qui guide toutes les incarnations discographiques récentes, depuis que Johnston, tel un ouvrier soumis à l’organisation scientifique du travail, ne maîtrise qu’une parie du processus créatif, d’autres capitalisent avec plus ou moins de bonheur le talent du songwriter. Certains ont pu être déconcertés par le virage garage rock extrême entamé sous le nom de Danny & The Nightmares (2 LP et 1 EP débraillés) ou crier à l’arnaque face à la prise d’otage d’un Jack Medecine (qui lui a fait faire plusieurs disques où il se sert objectivement du nom de Johnston pour se faire mousser, quitte à présenter des disques courts et anecdotiques, dont le récent The Electric ghosts – cf. Chronic’art #25). Avec Lost & found, la partie entre Daniel et son démon musical est plutôt une bonne pioche pour nous : c’est Brian Beattie, architecte du très Beatlesien Rejected unknown, qui s’y colle. Et souvent avec bonheur. Comme lors de sa précédente collaboration avec Johnston, Brian Beattie a su panacher les arrangements de manière à servir au mieux les chansons et leur auteur : on aura donc des titres assez « économes » (Try to love ou Wishing you well, qu’on connaissait déjà avec Why me ?, l’album live de 2003, tout juste enrichis de quelques reliefs sonores), d’autres à l’efficacité presque college-rock (le tubesque et inaugural Rock this town, où Johnston évoque pour la première fois sa consommation massive de cannabis : « I love that marijuana / makes me feel so high / Tell all your troubles goodbye / Somehow escape the lie of the Hollywood whore »…) et, c’est heureux, quelques réussites dans un registre plus barré avec, en première ligne, Haunt, un morceau dont la basse est prise de roulis, entre la houle et les vagues sonores, pendant que le piano fait du cheval sur votre système nerveux. C’est principalement cette variété des registres musicaux (ballade, rock’n’roll, weirdo, country, pop) qui permet à cet album assez copieux de rester captivant sur la durée.
L’autre atout réside dans le travail de Daniel Johnston lui-même puisqu’il parvient à renouveler son bestiaire, tout en restant connecté au grand inconscient collectif américain. Si Casper ou Captain America sont cette fois-ci en RTT, Daniel en profite pour convoquer de nouvelle figures légendaires, telle cette Marilyn Monroe d’outre-tombe dans ce Mrs. Daniel Johnston à l’auto dérision émouvante qui compte l’histoire de son idylle mentale avec l’actrice (« she’s not really dead / she lives in my head / she’s the girl who makes me feel alive / and she’s been on my TV / so many precious times / I just love dear Marilyn so much ») et où, plus fantaisiste que fou, il se promet de la rencontrer un jour ou l’autre sur une plage et qu’elle soit sienne ! Pour ceux qui s’effarouchent d’un Johnston parfois trop bête de foire pour rester fréquentable, l’écoute de Lost & found est recommandée : il n’a jamais semblé autant dans le juste équilibre entre excentricités et classicisme pop, tout en donnant l’impression de jouer avec ses obsessions ou ses terreurs davantage que d’en être la victime esseulée.