Passons sur l’album enregistré avec l’orchestre hollandais Beam, énième entreprise nécrologique qui fait de Daniel Johnston un artiste célébré de son vivant comme s’il était déjà mort (comme il l’avait exprimé lui-même : « I believe Daniel Johnston is a ghost of his former self »), et retournons directement en 1980-81, quand Daniel, bien vivant, étudie l’art à l’Université de Kent, rencontre l’amour de sa vie Laurie, et commence, dans la cave de ses parents, à écrire des centaines de chansons, enregistrées sur cassettes, distribuées à ses amis, balancées à la poubelle, oubliées sous le lit… Jeff Tartakof, fan devenu manager, éditera et diffusera quelques années plus tard ces fameuses cassettes, témoignages de l’intense créativité de Daniel Johnston au début (au sommet?) de sa « carrière » (ce qu’elle est devenue) : Songs of pain, More songs of pain, The What of whom, Don’t be scared et The Lost recordings (la cassette oubliée sous le lit, donc) donnent toutes les clés de compréhension de l’univers du chanteur, son amour pour Laurie (ils n’auront pourtant échangés qu’un baiser), ses relations avec ses parents (on y entend sa mère lui crier dessus), les Beatles (Like a monkey in a zoo est une pompe de Hey Jude), la Bible (et l’influence néfaste, dira-t-on, de la Church of Christ où l’emmène sa mère), les comics (mais pas encore le bestiaire fantastique qu’il chantera et dessinera plus tard).
Tout est là ou presque, essentiel et lumineux, les plus belles chansons du monde, enregistrées à la guitare, au piano, à l’harmonium, sur un simple magnétophone. La voix n’est pas encore chevrotante (plutôt celle d’un enfant), les médicaments n’ont pas encore altérés la belle intelligence (l’humour aussi) de Johnston, les thèmes ne sont pas encore tout à fait des obsessions. De la chanson-étalon Grievances à la programmatique Story of an artist : « Everyone, and friends and family, saying, « Hey! Get a job ! / Why do you only do that only ? Why are you so odd ? / We don’t really like what you do. We don’t think anyone ever will / It’s a problem that you have, and this problem’s made you ill » ». Le label Munster a la bonne idée de rééditer ces cassettes en Boxset de luxe, accompagnés d’un livret critique par le journaliste anglais Everett True (New musical express, Careless talk costs lives, Plan B), ponctuant judicieusement chaque description par un engageant « Listen to the music ». Que dire de plus ? Ecoutez la musique.