Les cordes et le jazz, malgré quelques unions réussies, n’ont jamais vraiment réussi à s’imposer comme un couple viable. On accuse les premières de rendre le second sirupeux, de lui faire perdre sa spontanéité, de le ramener au rang de musique d’ambiance léchée et plus ou moins clichetonneuse ; la tentation de certains jazzmen d’aller voir du côté des grands orchestres et de se faire plaisir en enregistrant un disque « with strings » est souvent regardée comme un péché mignon un rien mégalomaniaque, et le résultat généralement classé parmi leurs albums mineurs, voire parmi leurs manquements à l’excellence. Si nombre de projets avec cordes se limitent de fait à la confection d’écrins sucrés pour soliste en mal de grandiloquence, ce qui justifie au moins partiellement la détestable réputation du genre, certains se distinguent par la rigueur et l’intelligence avec laquelle ils mêlent les cordes au contexte du jazz, faisant preuve de tout le talent d’arrangeur nécessaire pour parvenir à cette difficile conjugaison : Casimir est de ceux-là, qui a peaufiné son Eros & Thanatos des mois et des mois durant jusqu’à obtenir l’équilibre parfait entre le Quatuor Ebène (le bien nommé : son chaud, boisé, enveloppant, fascinant) et son propre sextet sans batteur, inventant une manière de jazz de chambre d’une rare élégance dans lequel les cordes ne freinent ni n’alourdissent les élans du groupe. Nicolas Genest (trompette), Fred Borey (saxophone) et le leader (trombone) trouvent naturellement leur place dans l’espace minimaliste créé par les cordes (elles-mêmes aidées de Vincent Courtois au violoncelle et François Moutin à la contrebasse), le guitariste Michael Ferelbaum, vieille connaissance de Casimir, dynamisant le tout par ses arpèges pleins d’impact et volontiers électrisants. La richesse de l’écriture, le relief que parvient à conférer le groupe à sa musique, la diversité des atmosphères font de l’album une réussite ; les nostalgiques du Casimir punchy qui, voici quelques années, faisait les belles heures du « Groove gang » de Julien Lourau et celles du très cuivré « Brass trio » de François Thullier, constateront non sans étonnement que le raffinement et la réflexion n’entament pas forcément le groove. Si son classicisme assumé inscrit ce disque dans une tradition (celle, pour aller vite, du fameux third stream théorisé par Gunther Schuller) plutôt qu’il ne le projette dans l’avenir (c’est peut-être sa limite), Eros & Thanatos ne laissera pas sans repères les amateurs de musique contemporaine tonale et les curieux avides d’expériences transfrontalières -les mélomanes, tout simplement.
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