« Une tristesse est une joie passée », dit Will Oldham à un moment clé du très beau film Old joy de Kelly Reichardt. C’est un peu ce que l’on ressent en écoutant le huitième album (et quatrième pour Secretly Canadian) de Damien Jurado. Une ancienne joie, dont on garde le souvenir, mais qui s’est transformée en tristesse, comme si tout l’univers était une larme qui tombait. Joie des années 90, quand on découvrait toute cette americana moderne, de Will Oldham, Prince en son Palace (a-t-on remarqué la fleur de lys tatouée à son poignet ?), Jason Molina et ses différentes incarnations (Songs : Ohia, Magnolia Electric Co), qui ont visiblement inspirés Damien Jurado. Mélancolie ou nostalgie, fin d’une ère, c’est l’impression que produit donc ce Caught in the trees, comme une réminiscence où l’amertume le partage à l’ironie, dans l’autobiographie fragile des déceptions, entre autres amoureuses : « You’ll be happy to know the situation is worse », « You look like you could use a rest. You look like you’d be better off dead » « Are you alright ? You’re making me nervous with how much you’re leaving me here » ou « Another jealous husband to be killed ».
Prenons cependant l’axiome du bon côté, le verre à moitié plein, et disons-nous qu’une joie, même passée, est toujours une joie, et que le souvenir peut aussi la réactiver et réactualiser pour ce jour. C’est donc de la joie, purement musicale celle-là, que l’on ressentira dans l’envol des refrains à double voix, avec la complice Jenna Conrad, ces pianos de baltringue qui rappellent le Band, ce murmure qui survient comme le fantôme d’Elliott Smith, ces guitares et une énergie rock’n’roll inédite (section rythmique carrée, charley en avant) chez Jurado, un lyrisme anxieux (celui de Coats of ice évoque même un peu l’ami Adam Green), bref, une belle intensité qui parcourt le disque comme un fil tendu, le consume, et nous consume un peu en même temps.