Où l’on retrouve l’impayable John Dwyer aux commandes d’un vaisseau spatial dans un état proche de l’Ohio, tel le vagabond du nouveau monde. Si l’avenir de Thee Oh Sees est assez incertain, suite aux déclarations récentes de hiatus, le détour synthétique pris par notre californien est une consolation tout à fait bienvenue. Dwyer s’offre donc un petit tour dans le cosmos, en solo, équipé de synthétiseurs analogiques, de boîtes à rythmes pourraves, de machines bricolées à la maison, d’une batterie et d’une guitare. Il semble vouloir revenir un peu à ses premières amours d’expérimentateur fou, du temps où il faisait des drones sous le pseudo OCS ou de la techno-gay bizarro-bruitiste sous le nom de Zeigenbock Kopf. Toujours un peu kraut, toujours un peu pop, comme sur les plus beaux morceaux de Thee Oh Sees, Corrupted Coffin, The Lens, Wait Let’s Go, ou Minotaur, entre autres, mais un peu nulle part en même temps. L’atmosphère est ici très électronique, caverneuse, brouillonne et spatiale. Du Silver Apples sans métronome, lunaire et bordélique. Si en 1968, Simeon Coxe III et Danny Taylor avaient choisi d’intervertir les rôles, il en aurait résulté Damaged Bug : un truc branlant, avec des sons bien pouet-pouet, mais qui en même temps tient parfaitement la route, pourtant semée d’embûches. C’est que John Dwyer fait partie de ces surdoués américains, les bottes dans le DIY le plus cradingue, la tête dans les étoiles, qui savent trousser des morceaux géniaux sans complexes, et d’une inspiration inépuisable. Il déborde d’énergie créative et il ne se passe jamais beaucoup de temps entre la parution d’un nouveau disque, d’un livre de photos (voir le très beau Vinegar Book ) ou le lancement d’une nouvelle tournée mondiale. Ce qu’il ya de magnifique dans cette prolixité, c’est que la qualité musicale est toujours de mise. La patte Dwyer n’est même jamais autant appréciable que lorsque l’homme exécute ses plans en solitaire. Quelle joie de l’entendre bidouiller ses machines et plaquer ses rythmiques dégingandées pour produire ces vignettes de pop garage hirsute!
Si Hubba Bubba peut sembler taillé dans un seul bloc et paraître inégal dans sa courte durée, il n’en demeure pas moins jubilatoire. Parce que ramassé et balancé comme une bouteille à la mer. La joie est d’ailleurs ce qui semble guider John Dwyer, tout en spontanéité et désinvolture. On le sent ravi de coucher ses proto-tubes sur bandes en une seule prise, sans calcul ni prise de tête, mais sans complaisance non plus.
Ce n’est pas pour rien que le vaisseau de Dwyer, volant vers une lointaine galaxie où le punk garage aurait muté en groove extra-terrestre, arbore sur la pochette un portrait de Brian Eno. L’influence du maître est incontestable, l’ambition est la même: élaborer, seul aux manettes, une spaced-out pop délestée de la gravité. A vrai dire, la pochette fait référence à beaucoup de choses et laisse appréhender l’album comme une somme historique. On songe à l’album Contact de Silver Apples, bien sûr, mais aussi à Stupeflip qui emmenaient leur disque préféré des Residents loin de cette maudite planète sur la pochette de leur premier album, et surtout au Commodore Rock de Ladytron qui était une parodie d’une pub Radiola des 80’s… Le propos est pertinent, il s’agît d’invoquer l’âme de ses amours musicaux, de Bruce Haack aux Residents en passant par Eno ou le BBC Radiophonic Workshop, et de se défaire, le temps d’une escapade dans l’espace, des influences garage-rock plus orthodoxes. En comparaison des mantras frénétiques et hallucinés de la troupe de San Francisco, gavés de fuzz, de larsens et de space echos, ce mini-album fait figure d’aire de repos, même si l’on y retrouve tous les ingrédients suscités. Ici, le rythme est toujours à la limite du bancal, on sent que Dwyer cherche à se distinguer en produisant une musique bien plus cahoteuse que l’autoroute Oh Sees. Cahoteuse, comme un engin de l’espace déglingué.