Un best-of. Il aura fallu un best-of, un de ces disques débités à la chaîne par des majors fainéantes, pour réaliser ce qui manque aux meilleurs albums de l’an 2000. Pour retrouver un peu de cette excitation primale, un peu du frisson des chansons chopées à la radio et usées sur d’antiques cassettes. En vérité, je vous le dis, il nous manque des singles, des vrais. Des « titres-mondes », des symphonies de trois minutes, plus travaillées qu’un concept-album, où un musicien déploie plus d’inventivité que sur tout un disque. Cette denrée se fait rare depuis que tous les groupes sortent des premiers albums d’une heure et demie, pour remplir le CD. Ce Best-of des Impressions, première formation importante de Curtis Mayfield, nous branche de nouveau à la source.
Ce disque banal, mal fagoté, emballé à la va-vite, n’a pas quitté ma platine depuis deux semaines. Je ne l’ai écouté dans son intégralité qu’une seule fois. J’ai passé quinze jours avec deux chansons : Choice of colors et It’s all right. Un single, en quelque sorte, assemblé par mes soins. Deux titres écoutés le matin les cheveux mouillés, désirés toute la journée en souriant poliment aux tout petits chefs, honorés le soir, la porte à peine claquée, retrouvés au beau milieu d’une nuit d’insomnie. It’s all right délivre une mélodie optimiste imparable, parfaitement cool et élégante. Cuivres au bon moment et claquements de mains irrésistibles vers la fin. La vie telle qu’on la rêve. Choice of colors sonne comme un véritable monument. Le riff paraît banal à la première écoute, on redoute une soul un peu convenue. Et puis, les Impressions déjouent tous les pièges, s’engouffrent dans un refrain vertigineux avec une cascade de violons bluesy. Curtis double sa voix sur les derniers couplets : un sommet de finesse. Le texte parle d’inégalités, de racisme. La vie telle qu’elle est. Ces deux réussites doivent tout au génie de Curtis Mayfield, soulman vital, l’égal de Marvin Gaye et d’Al Green, musicien visionnaire passé du gospel au funk soyeux le plus naturellement du monde, arrangeur surdoué, homme de conviction, boss de label indépendant (Curtom), martyr foudroyé par une rampe d’éclairage, guitariste hors pair dont on reconnaît les accents chez Hendrix.
Dans l’ensemble, ce Best-of ne ressemble à rien, comme tous ses congénères. On y respecte un ordre chronologique gentillet, sans le moindre risque. Deux titres de Mayfield en solo bouclent ce package convenu. Mais le miracle reste à portée d’oreilles, toujours possible. Prises une par une, les chansons atteignent la perfection. Certains bloqueront le lecteur : I’m so proud, le terrassant People get ready, l’élégante Gypsy woman ou We’re a winner et sa caisse claire inégalable. Peu importe. L’important est de trouver son single, d’explorer une ou deux chansons jusqu’à la corde, jusqu’à la dernière réverb’ de grosse caisse. De retrouver ce souffle maniaque qui vous a poussé à acheter des disques, puis des fringues comme sur les pochettes de disques. Une cure de jouvence, selon saint Curtis.