Attention, pour son septième album sous son nom (on ne compte pas ses innombrables projets parallèles sur son label Mosquito ou ses incursions en terrain pop avec Super-Collider), Cristian Vogel nous emmène en voyage. La formule peut paraître téléphonée, mais pour une fois elle a réellement lieu d’être : ce disque-guide se propose en effet de faire visiter à l’auditeur une île imaginaire du nom de Rescate 137, probablement au large du Chili d’où Cristian Vogel, demeurant à Brighton, est originaire. Une île loin d’être paradisiaque, qu’on imagine volontiers recouverte d’une jungle étouffante, autour d’un volcan abrupt et menaçant sans cesse d’exploser, dont chaque recoin est infesté de terroristes enragés. Vision romantique mais correspondant assez justement : Rescate 137 est, à l’image de Jolo, un îlot à l’air paradisiaque qui attend la première occasion pour devenir un enfer.
Les interminables plages de sable fin et le bleu pastel de l’eau cachent en fait des courants contraires aspirant tout ce qui passe pour le faire dériver vers des longs récifs de corail édenté. Chose amusante (?), des parents de Vogel ont failli périr dans de telles circonstances. Aujourd’hui Vogel s’empare de l’anecdote pour nous imposer sa vision acide de la dance music actuelle telle qu’elle devrait être -conforme aux idéaux de son entreprise quasi utopiste de promotion Erutufon / No Future. Une musique électronique trouble, aux contours incertains, dont le groove fait bouillir le sang pour ensuite mieux le glacer. Une dance music acerbe, aux beats funky tellement ralentis qu’ils en deviennent plus lourds que le plomb, aux gimmicks tellement évidents qu’ils en deviennent terrifiants lorsque mis côte à côte sans raison évidente, tels les congas saturés et la basse dissonante sur Whispaspank (littéralement « fessée chuchotée »), où des vocaux type Parliament sont déshumanisés à l’extrême par un vocoder démoniaque. Les voix, d’ailleurs, presque omniprésentes, sont souvent les premières responsables du sentiment trouble évoqué par cette musique électronique sans âge et sans équivalent : sur La Isla Piscola, des chœurs portoricains accélérés s’entrechoquent avec une ligne de basse dissonante et divers effets bruitistes, tandis que résonne au loin l’écho d’une voix de sirène insidieusement belle et mélodique. Double effet anti-latin-house qui se moque des travers de la dance actuelle et de ses grosses ficelles, probable effet non avoué mais recherché de Vogel, qui continue inexorablement son entreprise de contamination du music business. Non pas pour détruire, mais pour mieux imposer sa voie. Alternative, idéaliste, désabusée, forcément. Vogel a construit son Ibiza (quand Bogdan Raczynski préférerait la bombarder) et nous fait danser, un rictus aux lèvres.