On ne sait pas exactement quand on atteindra le point de saturation en matière de garage, mais force est de constater qu’une forme de lassitude s’est lentement installée. Entre l’époque où l’on croisait toujours les mêmes têtes en beatle boots et chemises à jabots aux éternels mêmes festival revival, et ce moment où l’écoute des nouveautés se fait dans l’angoisse constante de tomber sur un riff des Kinks accompagné de farfisa, il s’est écoulé une petite décennie au cours de laquelle la forme canonique du genre (mettons, les compiles « Nuggets ») s’est généreusement mêlée à la cold wave, au prog-rock, à la noise ou à la chanson française, nous éloignant irrémédiablement des classiques qui ont fini par faire leur âge. Pourtant, il y a encore des disques rattachés au canal historique qui ont la moëlle, et bruissent de cette énergie originelle qui signe le charme intemporel du genre.
Après une année 2014 marquée par un virage pop d’une sophistication maniaque (et cette litanie de noms devenue un mantra, Dorian Pimpernel, Julien Gasc, Forever Pavot), Born Bad a su mettre la main sur quelque chose de brut et simple avec les québécois de Chocolat, dont le deuxième album Tss Tss a été enregistré en quelques prises, en mode live, à partir de bouts de chansons étirées sur plusieurs minutes à la faveur d’un ou deux jams. L’ensemble donne une pop psyché matinée de kraut, aux rythmiques tantôt heurtées tantôt rectilignes, aux synthés pompiers ou scintillants, aux basses rondes ou sèches, et à l’ambiance qui flâne entre les senteurs d’encens du boudoir et l’huile de friture des bars à motards.
Mais si Chocolat se distingue de la production actuelle en attirant une réelle sympathie, il le doit sans doute à la personnalité insaisissable de sa tête pensante, Jimmy Hunt. Oiseau de nuit visiblement connu dans tout Montréal pour ses frasques alcoolisées, le grand dadais à la voix perchée est un touche-à-tout dont le sans-gêne ne semble avoir aucune limite, qu’il s’agisse d’incruster son groupe à la cérémonie des J.O. ou de s’inviter sur le premier album de Cœur de Pirate (le duo a été ré-enregistré par la suite sur la version française du CD avec… Julien Doré), enchaînant les allers-retours entre le mainstream le plus atterrant et l’underground le plus obscur avec la nonchalance du type qui ne sait pas trop où il va, mais n’a aucune intention de se retourner. Surtout, sa poésie absurde arrive à nous toucher d’une façon très étrange, avec son argot québécois et ses visions de chamane, réalisant une synthèse entre les flashs d’une vie ratée dans les grandes métropoles occidentales et les visions intemporelles des montagnes sacrées et des lieux de culte les plus mystérieux (Gobekli Tepe). Trippé, assurément.