L’arrivée de l’américain Stephen Gardner sur le label californien Plug Research a probablement fait suite à la disparition de Drop Beat, autre label basé à Oakland qui révéla en son temps les talents de Kit Clayton, Downpour ou Sutekh. Triste transfert, donc, qui nous rappelle à quel point la survie des labels electronica peut être une tâche pénible et ardue, et ce malgré de timides sursauts de couvertures médiatiques pour la cause des musiques innovatrices… Quoi qu’il en soit, Chessie a tout de même trouvé une nouvelle maison, et c’est tant mieux. D’autant qu’il a visiblement laissé dans les décombres de Drop Beat son goût pour les rythmes déstructurés et les assauts bruitistes pour ne conserver que la substantifique moelle mélodique de sa musique et laisser éclater au grand jour son goût pour l’onirisme et les grands espaces.
Overnight est un songe conceptuel autour des voyages nocturnes, tout particulièrement en train, que Gardner connaît bien pour avoir pendant longtemps travaillé sur les rails. Neuf morceaux ont été élaborés par Gardner et son nouveau collaborateur Ben Bailes à partir d’enregistrements traités -non-reconnaissables pour la plupart- et d’improvisations à partir de boucles et d’effets. Ce dernier élément est essentiel, l’une des principales impressions à l’écoute de ces climats flottants et diffus étant celle d’entendre une musique jouée et non-pas séquencée. Le résultat évoque tour à tour un ambiant-rock fantomatique, un peu à la manière des artistes Kranky (Stars of The Lid et Roy Montgomery en tête), et un ambiant post-industriel réminiscent de Zoviet France et de ses arborescences Rapoon et Penumbra, fait de boucles vagues et imprécises, mais sans les clichés dark et/ou ethniques qui plombent trop souvent le genre. Les flux et reflux de sons engorgés de guitares imperceptibles finissent le plus souvent par révéler des richesses mélodiques tonales et presque joyeuses, évoquant les paysages des plaines américaines (un des morceaux s’intitule explicitement Northern Maine Junction).
Les progressions semblent raconter à chaque fois la même histoire, à travers l’évolution de pulsations sourdes et inquiétantes (le ballottement et les mouvements du train dans le noir) en boucles mélodiques de plus en plus reconnaissables et palpables (l’apparition progressives des paysages). L’impression est saisissante et souvent équivoque, comme si on était à l’écoute d’un folk moderne qui se serait perdu dans les méandres abyssaux de vastes espaces virtuels, comme chez Labradford (c’est assez évident sur Cross Harbor Interchange). On s’étonne de la délicatesse avec laquelle Chessie allie ses entrelacs de guitares à des déflagrations électroniques (Eyes and smiles), des boucles de bruit filtrés (K Tower) ou des rythmes quasi-tribaux (Pantograph Up).
D’une rengaine industrielle à la suggestion countrysante d’une rêverie champêtre, il n’y a qu’un pas, ou plutôt qu’un saut de rail, que Chessie franchit à merveille en confrontant l’incomparable et en exploitant un petit fait tout simple : c’est à bord de ces monstres de technologie que sont les trains que l’on apprécie le mieux les contours des paysage et la vraie dimension des espaces interminables. Overnight est une très jolie rêverie et une déclinaison très personnelle d’un thème classique de la musique populaire américaine qui ne souffre aucunement du passage au support numérique. Au final, ne demeurent que les impressions d’avoir fait un très beau voyage.