Le raï a fini de faire son trou sous le soleil des musiques du monde, aime-t-on à le répéter. Venu de l’autre côté de la Méditerranée, de la rive Maghreb pour être exact, il est désormais reconnu comme étant l’une des vagues musicales ayant déferlé sur la France avec une force et un feeling surprenants durant ces vingt dernières années. Seulement, comme toute les musiques populaires, il lui arrive de ne plus savoir se renouveler, à moins de se faire violence et de pratiquer l’ouverture, non pas à outrance mais à doses réfléchies. Contre vents et marées, certains ténors du genre s’y sont risqués… avec bonheur. C’est ainsi que nous avons eu le raï pop de Khaled, le raï funk world de Cheb Mami et le raï version banlieusarde du jeune Faudel, tout droit sorti du Val-Fourré français à Mantes-la-Jolie. Difficille de faire mieux après, à moins de se fondre littéralement dans ces différentes écoles. Ce ne fut pas le cas pour Cheb Aïssa. Et pourtant, nombreux sont ceux qui voient en lui une partie du futur raï incarné.
Né à Saïda en Algérie, il a commencé par apprendre le métier auprès de sa grand-mère maternelle, une meddaha (qui appartient à un ensemble exclusivement féminin), qui chantait dans les mariages et les fêtes traditionnelles. Un peu comme Faudel, sauf que lui… est vraiment né au bled. Très vite, il succombe aux charmes d’Oran, la capitale du raï toute proche, et cède le pas à l’ambiance surchauffée des clubs en vogue. Remarqué par un producteur, il signe sa première cassette en 89. Des reprises servies par une voix tellement tonique et puissante, qu’une seconde cassette vient saluer ses propres compositions. Le minot séduit. Son secret : le trab raï. Un style qui choisit délibérément de s’ancrer dans la tradition, de sentir le terroir, en invoquant Cheika Rimitti comme modèle autant que possible. Clavier… certes, mais percussions franches et authentiques… Textes qui causent de frustrations sexuelles et d’amours illégitimes. Un bon vieux raï qui déchire… Malheureusement, les temps sont durs. L’Algérie a mal. Partout. Et quand on ne peut rien pour stopper « l’orgie sanglante », on préfère parfois partir. Souvent à contrecœur… C’est ainsi que Cheb Aïssa déboule de l’autre côté de la rive, à Marseille. La ville où viennent se terrer, épuisés, les harragas (les clandestins), en attendant l’accalmie. La ville de tous les espoirs. La ville où tout a commencé pour Khaled et Mami. C’est de là en tous cas qu’il signera ce premier véritable album, Chira France… Un titre phare qui raconte l’histoire d’une rebeu* qui aime les homme et boit de la bière. Les histoires d’ici vous changent de là-bas, affirme-t-on dans la communauté maghrébine de Marseille. Entre le chicha et le thé à la menthe.
* de « beure », fille d’immigrés d’origine maghrébine en France,
deuxième ou troisième génération.