Enième avatar de la série des Montreal tapes enregistrée par Charlie Haden à l’occasion d’un cycle de huit concerts-hommages organisés par le Festival international de jazz de la capitale canadienne en 1989 (y participèrent également Paul Bley, Paul Motian, Joe Henderson, Ed Blackwell, Don Cherry et d’autres), ce duo avec le guitariste et pianiste Egberto Gismonti est sans doute l’un des meilleurs. L’Américain et le Brésilien s’y retrouvent pour la première fois depuis l’enregistrement, quelque dix ans plus tôt, du fameux Magico (avec le saxophoniste norvégien Jan Garbarek), curieux mariage transéquatorial dans lequel, sous l’impulsion du grand manitou d’Oslo, Manfred Eicher, les trois musiciens inventaient sans le savoir ce que l’on frelatera gaiement ensuite sous l’étiquette « world music ».
Sans Garbarek, reparti dans ses trips new age après un deuxième album moins célèbre mais tout aussi réussi (Folk songs), Haden et Gismonti n’en retrouvent pas moins dans ces 80 minutes les échos de cette magie fusionnelle née de l’improbable choc d’horizons qu’on aurait jurés incompatibles ; sur un répertoire essentiellement composé de thèmes du Brésilien (sept morceaux sur neuf d’où, vraisemblablement, cette parution sur son label habituel, où Haden n’avait quant à lui plus mis les pieds depuis 16 ans), ils créent un étonnant climat mêlant l’exubérance des couleurs tropicales à la coutumière sobriété d’une contrebasse peut-être plus libre que d’habitude. Gismonti, qui semble ici prendre l’ascendant sur son partenaire dans l’orientation des idées et des improvisations, fait à nouveau preuve de la prolixité instrumentale (à la guitare comme au piano) et référentielle (tout le Brésil sur le bout des doigts, bien sûr, mais aussi des réminiscences indiennes et populaires, avec un sens du rythme qui invite littéralement à la danse) qu’on lui connaît ; on pourra malgré tout lui reprocher un jeu légèrement pataud au piano, son sens de la nuance disparaissant curieusement dès qu’il s’approche du clavier (Nadia Boulanger, avec laquelle il a étudié l’instrument à Paris, aurait sans doute soupiré). Le chant fabuleux de la contrebasse d’un Charlie Haden constamment inspiré, passionnant dans son soutien rythmique comme dans ses parties mélodiques, suffit, quoi qu’il en soit, à conférer à cette rencontre montréalaise sa valeur et justifie la publication, onze années après, de ces dialogues à cordes d’une fraîcheur et d’une vivacité intactes.