Berlioz n’a pas été la seule figure musicale française du romantisme. On le sait maintenant depuis une petite trentaine d’années, notamment grâce au travail de réhabilitation entrepris par Lewenthal qui enregistra une anthologie en deux volumes de l’œuvre pianistique d’Alkan (1813-88) dans les années 60. Contemporain de Liszt donc, qui l’admirait, il fut un musicien exceptionnel : sa technique pianistique d’avant-garde, l’audace de ses harmonies, font qu’il annonce un Chabrier ou un Ravel. Mais retiré de la scène très tôt, préférant le salon parisien comme Chopin, devenu misanthrope, mort de façon grotesque (sa bibliothèque lui serait tombée dessus ou alors c’était son porte-parapluies), Alkan avait disparu de la mémoire des musiciens. Et de plus, il semble que s’attaquer à Alkan ne soit pas très bon pour la carrière d’un pianiste. Ceux qui l’ont fait ont en effet connu un succès éphémère ou de graves problèmes de santé, comme Lewenthal par exemple, qui, il est vrai, s’est un peu pris au jeu du pianiste maudit.
Mais réécoutons la Barcarolle op.65 n°6, jouée ici avec une simplicité magique, une délicatesse enivrante pour se souvenir d’un grand pianiste. Par ailleurs, les extraits des 12 Etudes dans les tons mineurs op.39 (qui n’est pas sans faire songer aux 12 Etudes d’exécution transcendante de Liszt), forment un panel d’œuvres virevoltantes, empruntes d’un humour certain ; Lewenthal, s’identifiant au diable virtuose (Cziffra n’est pas loin), réinvente cette musique comme pour porter l’Enfer au Paradis. Combien a-t-il de doigts, d’idées ? Autant que de notes, répondons-nous. Il est dommage qu’il n’y ait que le deuxième mouvement de la Grande Sonate « les 4 âges » op.33, mais gageons que l’auditeur se précipitera pour l’acheter (pourquoi pas par Marc-André Hamelin ?) après avoir écouté cet extrait.
Enfin, en complément (et quel complément), l’Hexameron de Liszt (ou plutôt de 6 compositeurs dont Chopin et Thalberg, autre génie pianistique), série de variations sur la marche extraite des Puritains de Bellini, achève ce récital. L’opéra ainsi, le genre roi à l’époque, a très notablement influencé l’écriture pianistique de tous les compositeurs : le cantabile de Chopin, le piano orchestral et opératique de Liszt en viennent. Certes, ce n’est pas une œuvre incontournable, mais on sourit d’être au cirque surtout quand c’est réalisé avec autant d’intelligence, de maîtrise et de fougue. En conclusion, cette excellente réédition provoque la jubilation de l’auditeur, qui, en ce début d’été, peut se décrasser les oreilles avec majesté !