Il y a un truc qui me chagrine un peu dans la façon dont les gens embrassent ce disque avec autant de facilité. Soit en ce qui concerne les quelques-uns pour qui la musique n’est rien de plus qu’un truc qui s’écoute (que je laisserais tranquillement s’enthousiasmer des derniers National, Drums et Tame Impala), mais je ne comprends pas les autres, qui n’ont sans doute pas pris la mesure de ce qui s’est passé. CEO, c’est d’abord une nouvelle vraiment triste : Eric Berglund couronné chief executive officer à la tête du label Sincerely Yours, c’est aussi sa moitié Henning Fürst qui disparaît dans la nature – en clair, la rupture des insubmersibles The Tough Alliance.
Leur nom n’évoquera sans doute pas grand chose à la plupart des Français parce qu’il n’y a jamais eu personne d’assez courageux pour éditer les albums chez nous, mais plus que le groupe phare de Göteborg, TTA, c’était l’étoile polaire, pour éclairer le reste du monde et lui donner une direction. Au regard des quelques-uns qui leur courent encore après (Delorean, Lo-Fi-Fnk, The Radio Dept), ils avaient tout : l’indépendance totale, les tubes (Holiday, Silly crimes, First class riot, Neo violence), le courage de braver les interdits (enregistrer un Muezzin, ne jouer sur scène qu’en playback, reprendre des standards hip hop sans déclarer les samples) et pour cause, ce n’était pas tant le succès ou la reconnaissance après lesquels The Tough Alliance courait (« there’s a crowd talking loud but they ain’t saying nothing / slow, stale, weak and pale while we running and laughing »), mais bien l’extase de se découvrir un monde à soi (« there is something else, something bright and pure, something that you never felt before, something you can’t touch, something you can’t see »). En cela, CEO n’incarne pas tant le grand retour d’Eric Berglund que le drame souterrain d’un rêve qui s’évanouit, d’androgynes qui auraient perdu leur moitié (il n’y a qu’à lire Eric dans son entretien à Pitchfork, qui ne parle que de retrouver l’autre part de soi), et d’une aventure qui prend fin après New York, Miami, Kingston et toutes ces villes évoquées dans 25 years and runnin’.
L’écoute de White magic est forcément déchirante. D’abord dans l’écart entre l’album et son titre éponyme, dernier morceau produit par Henning, qui oppose une brutalité techno jamais entendue auparavant aux plus beaux éclats mélodiques des albums passés. Et puis dans toute cette mélancolie qu’on n’entendait pas avant, à charge du newcomer Kendal Johansson (auteur discret des monuments des tristesse Blue moon et Bed för mig) : ici et là, des jeux de violons emphatiques (All around) ou des cantiques traditionnelles suédoises (Den blomstertid nu kommer). L’heureuse nouvelle dans l’histoire, ce sont ces refrains pleins d’espoir pour conjurer du mauvais sort, qu’on redoutait de perdre à jamais : le solo de guitare bien fat d’Illuminata, les chœurs distants de Come with me, ou les coups de couteaux de No Mercy, promesses d’avenir qui nous laissent, malgré tout leur charme, un peu désemparés, et nous aussi, un peu seuls.