Premières retrouvailles en studio pour Jean-Paul Céléa (basse), François Couturier (piano) et Daniel Humair (batterie), malgré la longueur partagée de leur trajectoire dans le paysage du jazz européen, leurs positions esthétiques communes et leurs nombreuses rencontres antérieures : un splendide album de jazz dont la moindre originalité n’est pas le répertoire, où se croisent figures « attendues » (John Surman et son Canticle with response, Joachim Kühn et son Good mood, Inki de Harry Pepl), improvisations collectives et, surtout, variations autour des monuments classiques que sont Mahler (le sublime « Adagietto », sans doute sa partition la plus connue, dont les cinéphiles savent qu’elle n’est pas pour rien dans la beauté de la Mort à Venise de Visconti), Britten (Lucretia) et Beethoven (« l’Allegretto » de la Septième symphonie).
On conçoit volontiers qu’il y a une unité dans Tryptic, et aucune raison de faire un cas particulier de ces trois moments inattendus où, l’oreille trouvant des repères nouveaux auxquels s’accrocher, l’écoute se fait d’une toute autre manière que lors des passages improvisés ; on ne peut malgré tout s’empêcher de voir dans Mahler, Britten et Beethoven comme les pics d’un disque dont il n’est pas utile de préciser qu’il regorge de toutes les qualités qu’on était en droit d’attendre d’un pareil trio – la liberté, l’intensité, la luminosité, la sobriété, l’interaction, l’élégance. Des trois, l’exploration de « l’Allegretto » beethovenien est sans doute la plus surprenante : Céléa et Couturier exposent lentement et majestueusement le thème, sans en dériver, le transformant en une manière de mantra ; Humair y déverse de sourdes colères percussives nées de ses tambours, comme un ciel qui tonne et gronde au-dessus d’une mer paradoxalement calme. On signale ce moment parce qu’il marque et trouve aisément à s’exprimer en mots mais, pour ce qui est de la qualité de la musique, on pourrait tout aussi bien signaler chaque minute de ce très bel album.