La frustration crée l’hystérie : c’est, un peu abasourdi, il faut l’avouer, que l’on accueille donc la sortie de coffret événementiel, Bruckner par Celibidache -des années que l’on attendait ça, mais quand même… On pense au chef roumain, aujourd’hui sanctifié, béatifié, etc. : ce tapage médiatique n’eut surement pas été de son goût -il était d’un pays où l’on sait ce que culte de la personnalité veut dire.
Cela étant dit, l’affaire est d’importance : on ne saurait entendre Celibidache sans l’entendre dans cette quasi intégrale brucknérienne ; et l’on ne saurait aborder le maître autrichien sans connaître, à un moment ou à un autre, la lecture de « Celi ».
Reste à définir le moment : car le style Celibidache, à l’oeuvre dans Bruckner, crée une alchimie pour le moins extraordinaire. Ces fameux tempi, étirés à l’infini, cette tension insoutenable, cette volonté implacable d’extirper de la partition plus qu’elle n’en exprime à la lettre… tout cela instaure, ici plus que chez n’importe quel autre compositeur revisité par le Roumain, un sentiment presque dérangeant. Bruckner aurait-il trouvé en Celibidache son meilleur interprète ? Le plus singulier, c’est sûr ; le plus convaincu, le plus pénétré, probable ; le meilleur, on n’oserait l’écrire, car toute forme de comparaison avec ce que l’on peut entendre par ailleurs n’a pas lieu d’être. Jochum, Furtwängler, ont eux aussi, et dans une manière très différente, traduit la pensée brucknérienne. Plus deux ou trois autres, à la tête de phalanges mythiques (Dresde, le Concertgebouw). Il faudra vivre le moment Celibidache quelque part entre ces noms glorieux, comme une expérience unique, douloureuse et trancendante : et en brucknérien fervent, condition sine qua non…
Bruckner, Celibidache – Symphonies n°3 à 9, Messe
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