Tu as grandi en Californie, à San Francisco. Quel était ton premier contact avec la musique ?
J’ai découvert la musique par le biais de mon oncle qui jouait de la batterie, il la gardait dans la maison de ma grand mère, dans sa chambre, ne me demande pas pourquoi ! Nous n’étions pas autorisés à y aller, du coup, avec mon frère, nous nous y faufilions pour en jouer. A cinq ans, j’avais l’habitude de frapper sur des trucs, de taper dans mes mains jusqu’à ce que je puisse enfin jouer avec une vraie batterie à l’âge de dix ans. Deux ans plus tard, j’ai intégré mon premier groupe. Mon grand frère jouait de la musique, j’étais toujours entouré par la musique qui était omniprésente en Californie dans les années 1970.
Tu parles d’Auto Music comme d’un album influencé par la conduite et par les trajets que tu effectues quotidiennement en voiture. La voiture a-t-elle toujours eu une telle importance dans ta vie? T’évoque-t-elle aussi des souvenirs de jeunesse ?
Je ne sais pas, je crois que j’ai toujours aimé le son des engins… Quand j’étais petit, mon père avait un hors-bord avec un gros moteur, et j’adorais ce son ! Mais pour en revenir à ta question, ça a toujours été présent, parce qu’en Californie, tu passes beaucoup de temps en voiture. Quand j’étais ado, je jouais dans plein de groupes, on avait l’habitude de s’enregistrer sur cassette et d’écouter le résultat dans la voiture. Avec Auto Music, le lien s’est fait naturellement, le dynamisme de mes morceaux collait très bien avec la conduite. En fin de compte, ça sonnait comme la BO d’une journée passée au volant !
Je voulais aussi te parler de ta relation avec la route, tu évoquais dans une interview de petits événements (un accident, un cerisier en fleur) que tu avais constatés pendant tes heures de conduites en Californie. Peux-tu revenir là-dessus ?
J’ai vu des choses dingues en conduisant, il m’est même arrivé de croiser des coyotes dans la nuit. J’ai aussi assisté à un accident horrible sur l’autoroute, j’ai vu quelqu’un se faire tuer littéralement sous mes yeux. Je ne sais pas ce qui s’est passé, le type a perdu le contrôle de sa voiture et il est allé s’encastrer dans un poteau, et il s’est tué. Ma mère aussi a failli mourir dans un accident de voiture, elle a été percutée par un routier en état d’ébriété, le lendemain de son anniversaire et elle est restée à l’hôpital pendant cinq mois en soins intensifs. Il m’arrive souvent de ressentir de la peur au volant et pourtant le trajet entre ma maison et mon studio ne fait que six miles, ce qui équivaut approximativement à la durée de deux morceaux sur l’album. Le morceau Auto Music 1, par exemple, correspond exactement au trajet qui mène de mon appartement à la plage. A L.A., tu passes de la montagne à la mer en l’espace de quelques minutes…
Il y a un dynamisme propre à cette ville que j’ai essayé de retranscrire dans l’album. J’ai longtemps détesté LA, je trouvais la ville moche, et les gens affreux, branchés et j’ai mis de nombreuses années à l’apprécier. Auto Music était une manière de raconter en musique mes virées californiennes.
Tu as fait des choses très variées au cours de ta carrière, tu as été batteur dans Red Kross, tu as supervisé et composé des BO, comment ces différentes expériences t’ont aidé dans la composition ? Avec le recul, comment les perçois tu ?
Je pense qu’elles sont toutes liées d’une certaine manière. Quand tu composes pour un film, tu regardes une image et tu te dis : « oh, j’ai besoin de ça, ça et ça » et tu t’y mets. Quand tu supervises tu te dis : « oh, j’ai besoin de ça, ça et ça » et ça peut être très dur des fois de trouver ce qui correspond. Quand tu as une référence visuelle, ça peut t’aider, te donner des influences, et j’adore travailler avec les images. Quand je travaillais sur Auto Music, je me projetais des films dans mon studio, chaque chanson avait une référence visuelle que je projetais pour les musiciens qui venaient collaborer et je leur montrais, plutôt que de leur dire « joue ça et ça », je leur donnais des directives plus en rapport avec les images.
Il y a un dynamisme propre à cette ville que j’ai essayé de retranscrire dans l’album. J’ai longtemps détesté LA, je trouvais la ville moche, et les gens affreux, branchés et j’ai mis de nombreuses années à l’apprécier.
Red Kross est-il ton premier vrai groupe ?
Disons que c’est le premier avec lequel j’ai signé sur un label et véritablement tourné, mais j’ai joué avec de nombreux groupes de San Francisco avant cela, probablement aucun que tu ne connais. J’ai joué dans un groupe qui a fait le Fillmore, nous avons ouvert pour Jesus And Mary Chain. A San Francisco, on était assez gros, mais on a jamais réussi à percer au-delà. C’est par la suite que j’ai bougé à L.A.
Quelle place occupe Auto Music dans ta carrière ?
Je dirais que c’est un plaisir égoïste parce que c’est un projet que j’ai démarré pour moi seul et que je pouvais reprendre quand je voulais. Ce n’était pas une commande et je n’avais pas besoin d’images pour me guider. Je composais enfin en toute liberté.
Au début, Auto Music n’était pas supposé être un album, c’était plus une manière d’expérimenter, une sorte de break entre deux projets. Quand as-tu décidé de rassembler tous les morceaux pour en faire un album ?
Il y a environ trois ans. Le premier morceau que j’ai fait est le premier morceau de l’album. J’ai commencé à le composer après Lost In Translation, il y a 10 ans. Le morceau est parti d’une conversation avec Kevin Shields. Avec lui, nous avons l’habitude de parler de musique pendant des heures, à propos des différentes manières de composer. Kevin avait une idée d’expérimentation, et j’ai pensé que c’était une bonne idée. Il a commencé à jouer de la guitare, je l’ai suivi sur un orgue. Quelque temps plus tard, il était à Los Angeles pour je ne sais quel raison, il est venu chez moi et je lui ai joué ce que nous avions commencé à composer. Il m’a demandé comment j’avais fait ça, et je lui ai expliqué que c’étais une extension de ce que nous avions commencé tous les deux. Par la suite, je suis reparti sur d’autres projets : des films, un jeux vidéo, et j’ai terminé le morceau un peu plus tard dans l’une des pièces de mon studio qui a une résonance très « live », avec beaucoup de reverb. Trois ans plus tard, j’ai composé un deuxième morceau, six mois après, un troisième, et c’est à partir de la que j’ai commencé à réfléchir à un album. Auto Music existe aussi grâce à Joakim (Haugland, le boss du label Smalltown Supersound), il s’est retrouvé dans mon studio à cause d’un ami à lui qui jouait du saxo et de la clarinette pour moi, et qui l’avait ramené dans mon studio. Joakim rentrait en Norvège ce jour là et je lui ai donné l’album, il l’a écouté dans l’avion du retour et il a beaucoup aimé. Il a trouvé que c’était un album parfait pour l’avion. L’avion est le meilleur endroit pour écouter de la musique, parce que tu dois rester assis et que tu ne peux pas faire ce que tu veux.
Auto Music est un projet que j’ai démarré pour moi seul et que je pouvais reprendre quand je voulais. Ce n’était pas une commande et je n’avais pas besoin d’images pour me guider.
Tu parlais de Kevin Shields tout à l’heure, que représentent sa musique et le shoegaze pour toi, vu que tu y es lié depuis la BO de Lost In Translation ?
C’est intéressant, parce que pour moi le shoegaze, c’est avant tout My Bloody Valentine, c’est Kevin qui fait sonner sa guitare si fort que le microphone semble griller, ce qui vous donne ce volume intense, toutes ces harmonies magnifiques, ces chœurs très simples qui sont finalement très complexes, parce que tout y semble brouillé. J’aime la complexité de musiques en apparence très simples, le premier album de Ride par exemple. A ce moment de ma vie, j’avais vingt ans, et ça m’a touché d’une certaine manière. Je n’ai jamais essayé de faire quelque chose qui sonnait comme ces groupes, je ne suis même pas un guitariste, je suis un batteur, mais j’aime ce wash, et Loveless est l’album le plus intemporel de cette scène. J’aime Slowdive et Ride, mais Loveless est au dessus de ces disques, c’est un classique indétrônable. Quand il est sorti, il sonnait si frais et si nouveau qu’il a vraiment sidéré tout le monde, moi y compris. Aujourd’hui, il a tellement bien vieilli, c’est incroyable. D’ailleurs, je l’ai encore écouté dans l’avion qui m’a amené ici. Et si je l’apprécie encore maintenant, c’est aussi parce que j’en connais les moindres détails. J’ai passé beaucoup de temps à écouter Kevin Shields qui me racontait les petits accidents du disque, comme lorsque leur batteur a du être hospitalisé et que Kevin a programmé une boîte à rythmes à sa place.
Auto Music était une manière d’expérimenter avec les sons, afin de trouver des idées à exploiter pour tes projets à venir. Maintenant que cet album est fini, quelles sont les techniques que tu as assimilées pour la suite de ta carrière ?
Il y en a tellement, avec cet album j’ai surtout essayé d’aller vers une forme de simplicité, comme sur le morceau Ozu, inspiré du cinéaste japonais qui a un style très épuré et en même temps très complexe. J’essaye de mélanger la musique orientale et occidentale pour créer quelque chose de nouveau. Récemment, je suis allé à Bali, dans une usine de gong, ces instruments ont un son très riche et très complexe, il n’y a rien sur terre qui crée un son pareil. En tant que batteur, j’ai joué avec des cymbales toute ma vie, mais les gongs n’ont pas été utilisés tant que ça. Là-bas, je suis aussi tombé amoureux de la musique de gamelans, j’en ai ramené tout un set. Si tu fais les choses différemment, si tu essayes de jouer avec le bois, les percussions et l’électronique, tu peux obtenir des sonorités vraiment inouïes.
Voyages-tu régulièrement pour trouver de nouveaux instruments ?
Oui, je repars dès cet été. Etant donné que je travaille beaucoup, je voyage entre chacun de mes projets : en hiver, je pars à l’est, et en été, je pars à l’ouest. Récemment, je suis allé en Chine et au Japon pour me procurer des instruments percussifs. L’été dernier, je suis allé en Grèce, en Espagne et en Angleterre, et cette année, je compte aller au Maroc. Pour composer la BO de la série Hannibal, je me suis plongé dans la musique des Master Musicians of Joujouka, ce qui m’a donné envie d’aller là bas pour découvrir de nouveaux instruments.
Si tu fais les choses différemment, si tu essayes de jouer avec le bois, les percussions et l’électronique, tu peux obtenir des sonorités vraiment inouïes.
Peux-tu me parler de ta collaboration avec Daniel Lopatin, alias Oneohtrix Point Never, sur la BO de The Bling Ring ?
Même si je suis plus âgé que lui, nous partageons des sensibilités très similaires. Quand nous avons fait The Bling Ring ensemble, nous n’avions que deux jours, et ça a très bien marché. On s’entend vraiment à merveille, c’est une alchimie idéale. J’adore sa musique, Daniel représente une exception dans la musique électronique actuelle que je trouve trop influencée par le passé. La technologie peut avoir de dangereux effets secondaires sur la musique. Quand leprotocoleMIDI est arrivé au début des années 80, il en a pris l’âme d’une certaine façon. Je pense que la meilleure période pour la musique électronique est arrivée à la fin des années 70. Aujourd’hui, j’ai l’impression que la musique électronique est bloquée par la technologie, qui n’est qu’un gimmick de toute façon. La musique d’aujourd’hui fait trop souvent appel à la technologie pour essayer de sonner « actuel », mais cela produit selon moi exactement l’effet inverse. Sur Auto Music, il y a aussi des ramifications avec le passé, avec Talk Talk et Kevin Shields par exemple, mais j’ai essayé de les faire sonner différemment, pour qu’ils ne sonnent pas comme le « son du moment », qui peut être daté du jour au lendemain.
La musique de Daniel est au contraire vulnérable, émotionnelle, elle est organique, elle sonne de manière authentique, ce que d’autres producteurs ne parviennent pas à atteindre. Son album R Plus Seven me donne la sensation d’être dans une maison étrange et de me balader de pièces en pièces, à travers de nouveaux environnements qui seraient remplis de mémoires et de souvenirs. Je pensais hier à ma femme et à ma fille qui étaient il y a quelque temps encore avec moi en France pour une semaine. Et quand je pense a eux, je revoie tous les petits moments que nous avons passé ensemble parce que tu ne te souviens pas d’un voyage comme d’un tout, mais comme une succession d’instants disparates. Si tu es un bon metteur en scène, tu peux faire un bon film à partir de cela, de petites touches, comme dans Lost In Translation qui synthétise les souvenirs d’un voyage. Et c’est ce que représente la musique de Daniel pour moi, cet aspect à la fois fragmentaire et cinématique qui la rend si intéressante et attachante à la fois.
Je pense que la meilleure période pour la musique électronique est arrivée à la fin des années 70. Aujourd’hui, j’ai l’impression que la musique électronique est bloquée par la technologie, qui n’est qu’un gimmick de toute façon.
Quels sont les autres producteurs ou groupes que tu aimes ces temps ci ?
Ah, c’est une question piège, parce que j’écoute surtout des vieux classiques ces derniers temps. Mais j’écoute aussi pas mal de nouveaux groupes. J’aime bien Toy, un groupe anglais. J’aimerais bien faire un album de rock garage, je pense que je pourrais en faire un bon. Une sorte de garage psyché, quelque chose de sombre avec des chansons assez longues, avec beaucoup d’orgues, il faudrait juste que je trouve quelqu’un pour chanter…