En 1974, Brian Peter George St John Le Baptiste De La Salle Eno se fait renverser par un taxi et se trouve contraint à l’immobilité pendant quelques temps. Lorsqu’une amie laisse sur sa platine un disque de harpe, un des canaux de sa stéréo ne fonctionnant plus, il se voit contraint d’écouter un inédit mélange sonore composé de la harpe enregistrée et du bruit d’une averse qui s’abat en même temps au dehors. Il a la révélation de l’ambient music -une musique « atmosphérique » qui se fond dans l’espace-, et restera pour toujours célèbre pour cette invention (concrétisée par ses disques Discreet music, Music for films, Ambient I : Music for airports). Anglais, inspiré par le rock (le doo-wop et le rock’n’roll des 50’s, puis le Velvet, les Beatles, les Who, Hendrix) et la musique contemporaine (Cage et Steve Reich en premier lieu), manitou du glam (avec Roxy Music, sur leur deux premiers albums) et de l’électronique naissante (avec Robert Fripp dès 1973), futur grand producteur mainstream (U2, David Bowie, Robert Wyatt, Talking Heads…) et collaborateur expérimentateur (avec Laurie Anderson ou John Cale), Brian Eno n’a pas seulement inventé l’ambient, il a aussi sorti quelques très beaux albums de pop, dont quatre essentiels sont aujourd’hui réédités.
Here come the warm jets (janvier 1974) est enregistré avec Phil Manzanera et le saxophoniste Andy Mckay, membres de Roxy Music, après le départ d’Eno du fameux glam-band, suite à des fâcheries égotiques avec le leader Brian Ferry. L’album est dans la veine des deux premiers Roxy, glam et sophistiqué, avec des morceaux doo-wop, des inserts des tout premiers synthétiseurs, et une énergie qui inspirera vraisemblablement les punks à venir. Sur Baby’s on fire, Eno est accompagné par Robert Fripp. La même année, sort Taking tiger mountain (by strategy) qui prolonge ces expérimentations, avec l’appui de Phil Collins à la batterie (sur un titre seulement, avant de devenir le batteur attitré de Eno, avant la carrière pourrie que l’on sait) et du déjà génial Robert Wyatt (chœurs et percussions). Sorte de concept-album inspiré par la révolution culturelle chinoise, ce deuxième album « pop » révèle déjà une conscience aigue du son et de sa répartition dans l’espace, en même temps qu’il se joue ironiquement des codes musicaux (le glam rencontrant les mélodies militaires, le rock se faisant de plus en plus en plus instrumental). En 1975, avec Another green world, Brian Eno ira plus loin encore dans cette direction, en enregistrant neuf titres sur quatorze complètement instrumentaux, rythmiques, répétitifs et particulièrement originaux pour un disque de pop-music. Le studio devient un instrument à part entière, dédié à l’expression d’un imaginaire plus spatial que temporel, désormais débarrassé de la contrainte des mots et du chant.
Before and after science date de 1977. Après la « révélation » de l’ambient, la création par Eno de son propre label, Obscure, et la sortie de son premier album ambient, Discreet Music (qui manque un peu à cette série de rééditions…), Before and after science s’inscrit dans la période « berlinoise » que vit la pop anglo-saxonne, froide et déjà synthétique, avec le Berlin de Lou Reed et les deux album coproduits pour David Bowie, Low et Heroes. Porté par les rythmiques carrées et discrètes de l’ami Phil Collins, des pianos répétitifs, quelques lignes de basse jazz-rock et d’aquatiques inserts électroniques, c’est le dernier album « conventionnel » de Eno.
Pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de la musique populaire, ces quatre rééditions redonnent un éclairage important aux travaux de jeunesse d’un grand producteur. On y entend autant la naissance d’un « son » qu’un changement d’attitude vis-à-vis de la pop-music : la science, la grande érudition de Eno sont ici mises au service d’une musique populaire, lui apportant une nouvelle sophistication, induisant un nouvelle distance à elle-même. Il y aura eu « un avant » et « un après » Eno.