Glory Days / My name is Bonnie Billy.
Will Oldham nous fait cadeau d’un nouveau recueil de chansons de Bonnie Prince Billy. Un cadeau délicieux, surprenant, malgré l’abondante production du bonhomme, peu après le merveilleux All most heaven, qui aurait pu suffire à combler les attentes des amateurs de rock’n’roll pour quelques années au moins. Ce rock’n’roll de Louisville, Kentucky, où la famille Oldham a vu naître un prodige.
Comme « Love Sign » Prince, Bonnie Billy change de nom au fil des disques : Palace Brothers, Push, Palace Music, Palace, Bonnie Prince Billy, Bonnie Blue Billy, et utilise parfois même le nom de son père, celui de ses frères : Oldham. Des surnoms en constante mutation pour éviter d’être un produit, une marque, une stratégie largement exploitée en son temps par le petit seigneur de Paisley Park. Ca se défend. On pourrait se servir de ces noms comme des points de repère, comme de petits trombones roses, pour prendre nos marques dans l’enchevêtrement fantastique des compositions de Will Oldham.
Donc, voilà : c’est le deuxième album de Bonnie Prince Billy. Cette fois encore, c’est un pas décisif, une première. Bonnie Billy se défait de ses anciennes peaux, de son passé de chantre-emblème de la musique indépendante américaine, et adopte les coutumes d’une nouvelle terre. Une terre où l’on passe à la radio, où la réverbération artificielle est de bon ton. Peut-être Johnny Cash lui en a-t-il montré le chemin. Will, en tout cas, nous en dévoile la route, pas si facile, et comme souvent, nous emmène là où l’on va rarement, sauf en voiture, avec Bruce Springsteen (The River, par exemple). En effet, ici, pas de petits accrocs, pas de petits défauts, pas de ces microphones au rabais qui font la vie et le charme d’un disque de rock indépendant US. Peut-être est-ce une nouvelle contrainte que Will Oldham s’est imposée pour canaliser sa créativité surexcitée, comme la petite boîte à rythmes de son album Arise therefore. En même temps, et plus encore que pour Viva last blues, il laisse s’exprimer son amour du classic rock, et en particulier de ses majestés Mick Jagger et Keith Richards. La première pièce de Ease down the road, May it always be avec son double solo de guitare électrique, n’aurait absolument pas fait tache au milieu d’Exile on main street, ou même de Some girls. On y trouve même une fort jolie phrase, tout dans l’excès, « à la Mick Jagger » : « … If you wouldn’t have been born, you know / What would I be then… »
Et Will en rajoute encore, pour un slow-rock avec rythme en rim-shot (ce son de caisse-claire réservé à Hotel California) au titre encore une fois jaggerien : After I made love to you. La chanson est magnifique et sa structure inédite : un pont interminable la divise en deux, avec Cathy Irwin (chanteuse de Freakwater) digne de Linda Rondstadt dans Harvest de Neil Young, et de doux accords de piano qui rappellent fortement le thème de Laura Palmer pour Twin peaks, par Angelo Badalamenti. Pour la première fois, personne ne qualifiera le rock’n’roll de Bonnie Billy de « néo-country », « néo-folk », « anti-folk » et tout ce qui s’ensuit. Mrs Williams est un morceau de country rock pure, que Will aurait pu offrir à Hank Williams, dont sa voix est souvent si proche. Il y pousse son vice de la rime à tout prix, ce petit jeu de langage de plus en plus présent chez lui après Viva last blues, sans vers en pieds, avec des phrasés enchanteurs : « … And then, I’ll watch / Keep one eye open / Half way fearing / Half way hopin’… » Le novice retournera le disque pour comparer les dates avec le John Wesley Harding de Bob Dylan… Un aspect très surprenant, et amusant aussi, d’Ease down the road, apparaît avec Just to see my holly home et ses multiples choristes entonnant des refrains à répétition. On imagine Will Oldham bientôt au programme des émissions protestantes du dimanche matin sur les chaînes locales de la communauté suédoise du Kentucky, une guitare à la main et une fervente rousse, un peu forte, au tambourin, les yeux fermés, à côté. Une sorte de réponse tendrement mystique au Minor Place qui ouvrait I see a darkness. Grand dark feeling of emptiness l’accompagnera très bien…
Quelques morceaux restent assez transparents toutefois, voire carrément agaçants, comme le pompeux a capella (+ nappe de synthétiseurs) Careless love, qui rappellera aux malheureux qui s’en souviennent le dernier morceau de The Unforgettable Fire de U2, maigre hommage à Martin Luther King. Mais le prolifique Will nous livre assez de beautés pour se permettre ce genre de plaisanteries sans aucunement rompre le charme. Avec David Pajo (Slint, Papa M) dans l’équipe, Bonnie Prince Billy aux avant-postes du rock indépendant américain nous fait donc cadeau d’une nouveauté antidatée, d’un classique instantané. Will Oldham rajoute encore une petite carte de visite dans son portefeuille rembourré, et doit déjà s’être remis au travail pour chercher comment s’étonner. Et nous avec.