Le nom de Billy Harper n’est pas de ceux que l’on entend souvent en Europe, et même aux Etats-Unis, il reste discret. Pourtant, ce saxophoniste ténor fait sans doute partie des figures les plus intègres du jazz, et il est l’un des plus respectés parmi les musiciens pour sa constance. Formé à l’école des Jazz Messengers à la fin des années 60, puis membre régulier des groupes de Max Roach, Lee Morgan, Randy Weston, soliste de big band inspiré chez Gil Evans et Thad Jones-Mel Lewis, il a décidé en 1979 de cesser toute activité de sideman pour se consacrer à la musique qu’il souhaitait faire partager, quitte à n’avoir qu’une audience réduite mais fidèle. Fidèle, lui-même l’est aux musiciens de son quartet avec lesquels il travaille, tourne et enregistre depuis plus de quinze ans, privilégiant la complicité devenue au fil du temps presque télépathique à la notoriété que pourrait lui procurer son association avec des sidemen plus exposés. Ce cheminement n’est pas sans point commun avec celui de John Coltrane, qui lui aussi pour avancer s’appuya sur le même quartet pendant plusieurs années, et leur musique basée sur des explorations modales va dans une direction identique : le creusement d’un discours par la reprise inlassable de thèmes qui supportent l’obstination et tendent à la transe. La démarche n’est pas non plus dénuée d’un certain mysticisme, comme en témoignent les titres de l’album, ceux des morceaux, et quelques mots du leader, mais elle est estimable tant les musiciens mettent de conviction et de rigueur à l’accomplir. Aussi est-on souvent plus que touché par l’intensité de la musique proposée.
La sonorité de Billy Harper est sans doute ce qui est chez lui le plus caractéristique. Elle n’a pas varié depuis ses débuts : puissante, elle s’inscrit dans le souvenir des saxophonistes ténors du Texas dont Harper est originaire, mais elle résonne aussi de la ferveur des chants religieux qu’il chantait enfant dans l’église de sa communauté, et en cela, il rappelle parfois le lyrisme exalté de Pharoah Sanders (Thine is the glory). Soliste intuitive, la pianiste Francesca Tanksley ne cache pas son allégeance à McCoy Tyner et pousse sans cesse le saxophoniste à prolonger le flux de son propos, comme savent le faire ses compères bassiste et batteur : le thème titre Soul of An Angel l’illustre au mieux par la variation des climats à l’intérieur, de l’exaspération à l’apaisement, de la tension à la sérénité. Le quartet se fait quintet sur la moitié de l’album par l’ajout du trompettiste Eddie Henderson, et même sextet sur un titre où les rejoint le corniste John Clark (Let all the voices sing). Henderson, dont on réduit trop souvent l’importance à sa participation au groupe de Herbie Hancock, est en réalité un soliste d’une trempe exceptionnelle, à l’aise dans tous les contextes, et qui trouve ici sur son instrument des effets (Thine is the glory) qui lui permettent de ne pas dépareiller un groupe pourtant très marqué par la personnalité de son leader. Capable d’être subtil comme un Miles Davis ou vibrant et dynamique à la Freddie Hubbard (Credence), il apporte sur les morceaux où il est présent un intéressant contrepoint aux denses improvisations de Billy Harper, magistral de bout en bout. Pour l’exigence qu’il s’impose et parce qu’il reste l’un des plus sincères prolongateurs de la tradition à laquelle il appartient, on ne peut qu’admirer Billy Harper et inciter à le découvrir au travers de cet enregistrement d’une rare authenticité.
Billy Harper (ts), Francesca Tanksley (p), Clarence Seay (b),Newman Taylor Baker (dm) + Eddie Henderson (tp) et John Clark (frh). New York, Décembre 1999.